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Sandrine Rotil - Tiefenbach
écrivain
J'air

second roman aux éditions Michalon

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Lors de mon premier contact avec SRT, (le nom abrégé de Sandrine ressemble à une maladie vénérienne), je m'étais dit

"cette fille est une écorchée vive".


Je ne croyais pas si bien dire. Voici que "J'air", son deuxième roman qui parait aux éditions Michalon, met en scène une héroïne qui se décortique de sa peau, s'en déshabille, se met à nu à tel point que tout lui fait mal, une caresse, l'air, les sons…

J'air… j'erre… dans quel état j'air, chantonneront les potaches à faible humour.

Lire ce roman me fait mal. Il m'est difficile d'y entrer. Il m'innocule les souffrances de l'héroïne que je ressens dans ma propre chair.

Suis-je trop sensible ?


Le journal d'une totale non-excisée

Ce roman va à l'encontre de la mode culturelle de la littérature sur le bonheur. Le bonheur est une seconde peau ouatée qui protège de l'extérieur, une carapace de douceur, de maternité. Le bonheur filtre beaucoup de sensations. Sa recherche est celle d'un nouvel opium.

L'absence de tamis habille les personnages de SRT d'un malheur extrême, celui de la sensation exacerbée. Cette fille sans peau, cette totale non-excisée, devient un tout clitoris qui, trop longuement et directement excité, provoque une insoutenable douleur.

Cette femme ne peut que fuir l'homme car toute caresse la blesserait. Cette grande brûlée est l'escargot sans sa coquille, le fœtus sans maison.
Son absence de moi-peau, cher au psychanalyste Didier Anzieu, en fait une psychotique. Son langage ne la défend plus, son cri intense devient inaudible, elle ne pourra s'enfoncer que dans un autre qui a trop de chair afin de mettre sa douleur à distance, et si cet autre ne ressent rien ça compensera un peu le fait qu'elle ressente trop.

L'étrange et le décalé deviennent sa cité. Ce sera avec une concierge au derrière sur lequel poussent des fœtus de singes qu'elle pourra le mieux communiquer.

Elle devient un Golem nerveux ; sa boue, sa merde, ce sont ses nerfs.

Robert Oyono


Ce petit roman est un voyage de morts vivants quand les heureux seraient des bons vivants morts. Les codes s'inversent, à la Bunuel. Certaines souffrances d'hôpitaux psychiatriques pourraient ressembler à ces 128 petites pages.

Sandrine Rotil-Tiefenbach poursuit une œuvre entamée avec Sarah K. 477. J'en livre un extrait pour que le lecteur se fasse lui-même une première idée.


xxxxxxxxxxxxxThierry ZALIC


J'air, 128 pages, 11 euros, éditions Michalon, 2004.

Lire la critique de Sarah K. 477, in Underground

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J'air

extrait

J'étouffe. J'ouvre une fenêtre mais l'air reste dehors. Je fais aller et venir ses battants, d'avant en arrière, pour l'attirer à l'intérieur. La chaleur poisse en dedans comme au-delà, par brassées. De la sécheresse et rien que de la sécheresse. J'ôte mon pull à grosses mailles. Mais c'est pire. L'air chaud vient se coller directement sur ma peau. J'y mets de l'eau froide, à même le robinet, les coudes enfoncés dans la cuvette. L'eau s'évapore immédiatement. Celle qui sort de mes pores la fait fuir. Je n'ai pas le choix. J'ôte ma peau. Le plus dur, c'est de se lancer. Après ça va tout seul. Exactement comme quand on pèle une orange. L'amorce étant faite d'un coup d'ongle bien senti, l'écorce se détache sans plus de résistance. Parfois, cela se déchire un peu. Quand j'ai fini, je regarde au sol ces débris dérisoires. Sortis de leur enveloppe, je les trouve tout à fait ridicules. Des copeaux de chair molle, roses à vomir, laids. Je les fourre à la corbeille en vitesse. M'en monte une nouvelle suée. Je me passe la main sur le front. Malheureux réflexe ! Maintenant j'ai foutu du sang partout. Je retourne en courant à la cuvette au-dessus de laquelle je me penche du mieux que je peux. Si je fais trop de taches par terre, la direction me fera des réflexions. Le sang s'en va dans le petit trou blanc.

J'observe le tourbillon rouge qu'il fait dans le lavabo. Je pense à ma chaise, là-bas, qui est vide pendant que j'attends ici. Mais entre deux maux... J'ai gardé en mémoire un jour de pluie. Mes bottes avaient rapporté un peu de boue du trottoir et j'avais eu droit à une réflexion. Depuis, je m'efforce de ne rien laisser traîner par terre et ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer. J'y suis presque. Non ! Ça y est ! J'y suis. Tout le sang est parti. Dans un ultime tournoiement, il a disparu en faisant un grand bruit de succion, assez désagréable, comme si le gros tuyau du dessous en avait aspiré la dernière rasade à plein goulot...