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Flac

éditions QUE
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Serge ANDRÉ,
écrivain psychanalyste
Flac, de Serge André, est la cerise sur le gâteau des éditions QUE.

Enfin une langue qui devient matière, dont la profusion ne porte aucun signe de graisse, dont la justesse des émotions est découpée au scalpel. Flac est dans le lieu de la vérité. Ses parents ne peuvent certainement rien comprendre de ce qui se dit, ne peuvent que se demander : "Quel est ce délire ?" Pourtant le sujet qui parle là est plus vrai que vrai.

Son Altesse Sérénissime

Serge André. S.A. Ça sonne comme Son Altesse Sérénissime mais celle-ci n'est pas sérénissime car la description de son enfance montre qu'il y a eu crime de lèse-majesté. Alors son Altesse éructe, il y va de sa vie, sa petite bouche d'enfant veut tardivement renverser le pouvoir.
Un enfant, c'est faible et ça crie fort, ou c'est fort et ça crie faible, on ne l'entend pas sauf à dire qu'il est têtu, que son cri dérange, dérange quoi ? L'ordre établi ? Et pourquoi doit-il cesser ? Pour son bien ! Alors pourquoi a-t-il si mal ? Pourquoi ces adultes-là sont-ils tellement à côté de la plaque ? À la mère cloaque qui suinte ses sécrétions vaginales, "qui impose sa cassure secrète, sa plaie, son insoutenable abandon, obstinément, couenne du refus", répond un père qui ne le protège pas, qui ne la coupe pas de cette Gorgone, qui non seulement ne fait pas obstacle au sale feu de sa mère, mais de plus l'affole autrement, le traînant hors du lit par une patte comme un poulet, riant et touchant le petit zizi pour mettre son amour-propre bien à plat. C'est un casseur d'amour-propre, un "sadiseur" de narcissisme, un castrateur , un rieur sauvage et tonitruant, un histrion qui théâtralise ses rapports avec Flac, qui le plonge dans d'abyssales émotions inexplicables, fétu de peau suspendu aux fluctuations des grimaces de son père. Ce père ne peut prendre cette place de père, le sien propre l'obstrue, il en réfute la mort, les embrassades à son fils suintent l'inceste, il a l'amour pervers, décalé, si père il y a, il est déboîté.
Ce géant hostile ne se laisse pas appeler papa, pourtant appeler son père "papa" c'est accepter qu'il fasse un peu la maman car murmurer "papa" c'est comme dire "maman" avec un sexe presque pareil de garçon et pas le trou inconnu et dangereux de sa mère.
Le jour où cette femme, marâtre d'elle-même, à son tour malmenée, lui demandera de l'aide, il crachera dans sa tête "et toi, mère, qu'as-tu jamais fait pour m'aider ?" Il pourrait faire au père, ce non-papa, ce dingue, la même réponse.
Père et mère, l'affolant et la Boîte de Pandore mal fermée. Mère et père,
Le Château de ma mère pue du bec et la diatribe à son géniteur vaut La lettre au père de Kafka.

oeuvres de Robert Oyono

Serge André relate magnifiquement tous les coups de poignards que reçoivent les enfants, histoire de la bouchère qui fait honte à sa mère devant tous en clamant qu'elle lui doit de l'argent avant de faire l'aumône au fils d'une tranche de salami, histoire du camion rouge chéri d'Amérique avec le bouton qui fait monter l'échelle vendu aux enchères et acheté par le fils laid et haï du petit épicier d'en face, les pull-overs dont les tons criards font honte, les puzzles de mille pièces détestés de l'oncle Jean qu'il faut néanmoins remercier alors qu'on voudrait qu'il crève avec sa pneumonie soi-disant contractée pour des hauts faits de résistance dans le Vercors, histoire de… histoire de…
Les parents dénieront toutes ces blessures :
"Es-tu stupide, tu as vraiment souffert pour tout ça ?" répondront-ils, et l'enfant souffrira une nouvelle fois.
Les enfants sont les receleurs ombrageux d'impardonnables offenses, les comptables amers de tous les outrages pour reprendre les mots de Serge André.

Flac et Zorn

Au début de ma lecture de Flac, je songeais au Mars de Fritz Zorn, non par la forme d'écriture, mais par le fond, l'extrême nécessité de faire le point sur la source supposée de son mal, la recherche de l'origine d'un noyau douloureux.
J'ai compris, par l'essai en post-face, L'écriture commence où finit la psychanalyse, que Serge André avait été atteint par le même mal que Fritz Zorn, un cancer, et que tous deux, par l'écriture, cherchaient à expulser cette tumeur, ou, du moins, à la circonscrire.

Aucun ne le dit de cette façon, seulement pour tous deux la vérité est nue. Ils n'ont plus rien à perdre, à défendre, même le regard de leurs parents ne compte plus puisque demain ils ne seront plus là, ils, les enfants, pas les parents qui les ont tués.
Ils meurent de leurs parents. Serge André est plus fin que Zorn, il tourne autour du trou de leurs fautes, il ne le dira jamais comme ça, il est psychanalyste. Ce serait faux de les rendre responsables, et pourtant cette culpabilité est présente, il faut du règlement de compte à OK Corral, il faut que ça sorte, que les mots appuient sur la détente et que tourne et tourne le barillet de la vie.
Les deux font le point sans fioriture, sans tricherie.
À la concision anémique toute suisse de Zorn répond la profusion carnivore d'André ; le premier texte chuchote les confidences à la Henri-Frédéric Amiel quand le second le beugle à la Antonin Artaud.

À la première phrase admirable de Zorn ,
" je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul" répond celle de Serge André, "Flac se parle. Fait que ça. Ah ! pas la peine de se demander où il est : Monsieur est en conférence installé dans l'aparté d'un interminable concile muet. (…) Flac mène la vie d'un captif dont la prison n'est autre que lui-même."

Zorn, de son écriture constat, concise, cherche à être l'entomologiste de sa maladie, à décrire sa maladie en pierre brute dans sa gangue :

Je me suis donc décidé à noter mes souvenirs dans ce récit. Autrement dit, il ne s'agira pas ici de Mémoires au sens ordinaire mais plutôt de l'histoire d'une névrose ou, du moins, de certains de ses aspects. Ce n'est donc pas mon autobiographie que j'essaie d'écrire ici, mais seulement l'histoire et l'évolution d'un seul aspect de ma vie, même s'il en est jusqu'à présent l'aspect dominant, à savoir celui de ma maladie.

Serge André, de son écriture barbare, sertit sa pierre, la façonne, la monte en bague :

Je sais, bien sûr, quels sont les éléments autobiographiques qui apparaissent dans mon récit, et je connais le fantasme central de son héros. Mais, si FLAC peut être considéré, entre autres points de vue, comme un récit autobiographique, ce n'est qu'à la condition de préciser ce qu'il y a lieu d'entendre par le terme " autobiographie ".
Je revendique, en fait, pleinement la qualification d'autobiographique pour ce récit. FLAC est autobiographique " à mille-pour-cent ". je veux dire : autobiographique à cent-pour-cent, plus neuf-cent-pour-cent que j'ai ajoutés. J'ai puisé dans mon histoire une série d'éléments - événements, souvenirs, phrases ou mots marquants, détails parfois infimes mais restés gravés dans ma mémoire, collection hétéroclite dont le seul point commun et la seule importance véritable est le caractère d'énigme sous lequel ils m'apparurent.
Mais ces éléments ( ce sont les premiers " cent-pour-cent ") n'auraient présenté aucun intérêt pour personne, à commencer par moi, s'ils n'avaient été gonflés et refaçonnés par les " neuf-cent-pour-cent " que j'y ai ajoutés.

Tout oppose les deux livres que j'ai pourtant rapprochés. Au vide de Mars et à son humour constant désespéré, à son second degré utilisé en pied de nez, en contrepétrie qui amène un sourire constant sur nos lèvres, répond le trop plein de Flac, son caractère de cri primal, un sérieux qui ne prête jamais à rire. Ce sont deux bébés qui ont besoin d'être langés, cajolés, entourés. Ils dépérissent par manque de caresse. L'un mourra et l'autre sera, pour un temps, taxé de guérison spontanée.

"Il y a quelque temps, j'ai écrit l'histoire de ma maladie, avec l'espoir plus ou moins net qu'une récapitulation et une confrontation avec mon passé pourraient apporter une certaine distanciation ou peut-être même me permettraient de surmonter ce passé. C'est le contraire qui s'est produit. Depuis que je m'en suis occupé de plus près, la souffrance que j'éprouve face à mon histoire se jette sur moi avec une violence nouvelle et qui n'avait jamais atteint un tel degré."

À la douleur de Fritz Zorn répond l'espoir de Serge André :

Si l'écriture remplit effectivement une fonction salvatrice, ce n'est pas en raison de je ne sais quel exemple moral qu'elle serait chargée de diffuser, mais précisément en raison de son pouvoir de renouvellement du langage et du rapport au langage Il est bien possible que, dans le remue-ménage qu'elle impose au langage, l'écriture coure le risque de ce que l'on croit être la barbarie. Mais est-on si sûr que la barbarie se confonde avec la sauvagerie, le désordre, la violence, le meurtre ou obscénité ?
N'y a-t-il pas une barbarie pire que le chaos dans l'ordonnancement parfaitement organisé de la langue, dans le lexique propre et purifié, dans 1a syntaxe aux articulations bien huilées, comme dans la hiérarchie parfaitement bureaucratisé du monde ?


L'écriture est une bataille. L'issue en est la vie, ou la mort. Ni l'une ni l'autre ne sont certaines. La mort a, dans les statistiques, l'avantage. Mais le destin individuel s'oppose au calcul de masse. Le malade ne va pas survivre sept ou huit fois sur cent, il sera à cent pour cent dans la vie ou la mort.
Chaque homme qui lutte est un héros possible. Celui qui ne lutte pas est un mort certain. Mais contre qui lutter ? Dans tous les cas, ces héros mis en scène luttent contre leurs parents. La nécessité est de les tuer pour renaître, d'y voir clair pour sortir du tunnel. Se réinventer, se libérer de ces chaînes, de ses c-haînes, et de son amour bloqué dans des impasses.

oeuvres de Robert Oyono

L'insoutenable pesanteur de l'être

Je reconnais dans Flac cette volonté de se coltiner à la langue qui m'avais mu moi-même dans le roman SLIP, le désir d'un livre testamentaire, de fin du monde, une déstructuration encore reliée aux gens par un fil.
" À celui qui a élevé la langue au niveau de la Chose, écrit Serge André, il faut encore lui prouver son amour sans limites en la piétinant, en l'éventrant, en la réduisant en miettes pour en extraire l'unique singularité quand elle n'est plus qu'un magma informe, même plus un cri, à peine un souffle. Car c'est au moment où la langue vacille entre décomposition et recomposition qu'elle sonne juste, qu'elle devient vraiment réelle."

Les mots deviennent une lutte contre l'insoutenable pesanteur de l'être. Où Kundera avait-t-il trouvé sa légèreté ? Céline trouvait l'être pesant, je le crois plus volontiers même s'il voyagea longtemps dans la première classe d'un train sur voie sans issue, dans son hors réalité qui en rejoignait une autre six millions de fois plus mortelle.
Serge André n'est pas confronté à ces morts par millions mais à sa mort personnelle qui doit peser le même poids. Il est
perdu dans le trou du corps de sa mère, omniprésent, qui impose son insoutenable abandon. "Viens dans mon vide, semble susurrer cette mère, respire dans ce cocon du rien l'absence d'oxygène. Ne t'échappe pas. Je t'offre rien, et tout. Je suis laide. Et belle." Et à côté le père fait ses grimaces de pantin.
C'est lourd ! Est-ce une raison pour avoir un cancer ? Y a-t-il une raison concrète pour en être victime ?

Reich en trouvait une mais avait-il raison ?
Il présentait le cancer comme un désordre systémique, et pas seulement une tumeur. "La biopathie du cancer commence précocement, avec une composante importante liée à un traumatisme de la petite enfance, un blocage respiratoire subséquent et le refoulement des émotions ; plus tard, à l'adolescence et à l'âge adulte, l'individu éprouve une grande difficulté à établir une vie amoureuse et finit par renoncer au plaisir sexuel, puis à la joie de vivre et à ne plus trouver à la vie un sens."

Mars, de Fritz Zorn, épouse à la lettre ce canevas. Quant à la vie amoureuse de Serge André, je n'en connais rien.

L'écriture commence où finit la psychanalyse

Avec la partie théorique, Serge André reprend l'emprise sur lui-même. Il redevient un homme qui parle. Disparaît le corps qui se vomit, fusse avec des mots. On n'est plus dans le Ça parle de Flac mais dans l'homme qui parle du Ça pour épouser un jargon psychanalytique.
Néanmoins, cette partie est toute aussi passionnante que la première. Après avoir exploré la coque sous-marine du bateau, avoir flairer les écoutilles et pris des coups de chaud dans la salle des machines, on déambule sur les ponts. Les nouveaux mots expliquent, décadenassent. Serge André prend une juste distance avec le Maître Lacan, ce despote éclairé qui, pour avoir ouvert les yeux à quelques-uns, en a aveuglé beaucoup d'autres.

Serge André révèle justement :
"dans tout acte de lecture complète, sommeille l'idée compulsive d'écrire un livre en réponse.
Alors je le commence là, disant ma vérité. Les corps me dégoûtent et pourtant je ne vois qu'eux partout où je passe. Je les ausculte, les dévisage, les renifle. J'appréhende les slips trop propres et les sales, je fais des plans sur leurs comètes et, tant que le désir n'est pas là, ces corps me dégoûtent, ils plissent, ils puent, ils cloquent.
Pourquoi parlez de moi ? te demandes-tu, lecteur. Je viens de te l'expliquer. Parce que Serge André :
" L'idée de nettoyer la cuvette d'un cabinet, sa lunette ou seulement le sol de carrelage qui l'entourait était si étrangère à l'esprit de la mère de Flac que celui-ci n'avait découvert que bien tard l'usage de la brosse à poils durs que, partout ailleurs que chez lui, il voyait plantée à côté du siège dans un pot de plastique rutilant. Objet surréaliste sur l'usage duquel il s'était maintes et maintes fois interrogé lorsqu'il était en visite chez des amis, allant jusqu'à supposer qu'il devait s'agir d'un ustensile médical destiné à la toilette intime de certaines femmes au moment de leurs règles. Flac en avait évidemment déduit une image du sexe féminin analogue à celle d'une cheminée aux parois couvertes de croûtes de suie noirâtre que seul un vigoureux ramonage pouvait récurer. D'où frisson d'horreur à la pensée qu'il aurait peut-être un jour à introduire son propre organe, si doux et si sensible, dans ce conduit rugueux et décrépit, habitué au grattement cruel de la brosse porc-épic. Les parois vaginales n'étaient-elles pas elles-mêmes couvertes de picots, constituées d'une sorte de peau de hérisson ? N'était-ce pas cela, le secret qu'on lui cachait concernant les fameux poils du sexe féminin ?

Il faut savoir s'arrêter. Cet article est déjà trop long, mais je ne peux quitter ce livre, il y a tant à en dire, je pourrais en faire trois tomes comme Sartre dissertant sur Faubert.
Serge André, merci mille fois pour cet écrit, salvateur et nécessaire pour l'humanité des enfants toujours muets. Qu'il les aide à parler, à crier, à vivre et à ne pas être malade demain.
Flac est un Poil de Carotte de Jules Renard actuel, nous sommes tous les roux de parents qui nous détestent, même quand ils croient nous aimer.
J'apprends aujourd'hui que Serge André est au plus mal, pris par une récidive de cancer.
Quel qu'en soit l'issue, il deviendra, pour moi et j'espère pour tous les autres, éternel avec son Flac comme Homère avec son Odyssée et Cervantès avec son Don Quichotte.
Cet écrit, par son ultime vérité, ouvre les portes de l'éternité. Pour le Flac de Serge André, on ne peut dire que "justesse, justesse, justesse."

Thierry Zalic

Flac, de Serge André, éditions QUE

À l'issue de cet article, je reçois ce mail de l'éditeur de Serge André :
De retour de Bruxelles à l'instant, j'ai le regret de vous annoncer que Serge André est décédé dans la nuit de vendredi à samedi. Il a perdu connaissance vers 15 heures. Je l'ai eu au téléphone la veille et je lui ai annoncé qu'un écrivain tenait à lui dédicacer ses ouvrages. Je peux vous assurer que cela lui a fait plaisir.

video "Entretiens avec Serge André" sur le site des éditions QUE suivie d'une fiction de 5 mn "Que veut cette femme?"

Flac
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