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Arno, chanteur belge
Me serais-je jamais penché sur le chanteur Arno si Wajskop n'avait pas décrit son meurtre dans le roman Iljeon.
( Texte du meurte à la suite de cette présentation)

Bien m'en a pris. Dans Arno Charles Ernest y'a du bastringue, du chaloupé, d'la main sur les hanches qui glisse sur le cul.
Y a du vécu, d'l'hygiène à moitié, du gominé qui vire au gras.
Pourtant bien des femmes se laisseraient introduire cette langue incertaine, par celle qui dégoise l'anglais, le français ou le flamand, mais la grosse limace.
Arno se laisse aimer. Avec un certain dédain. Il annone les mêmes réponses aux journalistes qui lui posent toujours les mêmes questions, il les renvoie dans leur petit néant et reste un Maître. Qu'importe le succès, qu'in lui suce le gland ou le voue aux gémonies. Un ministre lui accroche une pacotille pour le nommer chevalier des arts et lettres. À rire ! On se croirait dans une république bananière !
Il surnage en étron sur la médiocrité générale, en diamant, ça brille imparfaitement et alors, c'est du toc et alors…

C't'amoureux de la scène s'y accroche comme sur un radeau. Y a du Captain Beefheart chez ce cuistot de la musique, du Brian Ferry portuaire, de l'Ottis Reading chez ce déménageur fainéant, du Nick Cave mais surtout de l'Arno.
Son disque est un morceau de braise car il lui arrive d'effleurer le presque rien, l'indicible, à faire suer le vécu à partir de mots pauvres qu'il ne faut pas lire sans leur musique, trop faibles…
Arno est porté par un corps, il faut la grosse turbine de ses poumons, son ahanement de locomotive encore à vapeur avec la préciosité de beaux gratouillis de guitares, banjos, mandolines…

Arno est envoûtant. L'écouter remplace une barrette de shit et on s'esquinte moins la santé. Y a du perce-neurones dans sa gouaille, d'la perceuse vibrante dans des chœurs déjantés, du second degré qui rigole au second sous-sol mais y rigole sérieux, faut pas s'moquer, c'te musique elle découle pas rien qu'en claquant des doigts. P'tit péteux, tu vas pas te foutre de moi quand même ?!
Quand Arno passe dans une télé, tous les autres ont l'air de "parapluies-dans-le-cul".

Arno est un inepte brillant qui a produit un disque nécessaire à tous ceux qui aspirent à la liberté, mais qui n'osent que rarement.

Arno Charles Ernest, disque Virgin

Le meurtre d'Arno
In Iljeon de Bruno Wajskop, éditions QUE.


I'm a mother fucker, Man!


La maison a l'air vide. Maman ? Monique ? Pas de réponse.
Panique : mon ventre, mes tripes. On ne va pas en faire un livre.
Dans le salon en désordre, une bouteille de whisky, deux verres à moitié pleins à côté du bac à glaçons, fondus.
Une voix rauque, menaçante, une voix que je ne connais pas : danger.
Mes sphincters, mon ventre.
On va tout de même en faire une scène, la scène qui suit.
Mon ventre, mes sphincters, puis tout devient dur.
Dur, de monter les marches quatre à quatre.
Dure, la voix de l'homme qui hurle en flamand.
La voix du flamand est une voix d'homme.
Un cambrioleur, un assassin.
Un flamand dans la maison !
Un flamand a sûrement essayé de vendre des Tupperware à Monique, et elle passe à la casserole. Je vais le buter. Une langue flamande sur son sexe unilingue !

Ma mère est nue dans le lit défait, couchée sur le flanc : une masse. Pour la première fois de ma vie, je prends conscience de son poids. Comment un homme peut-il oser entreprendre une telle masse ? Bon sang !
Les cuisses de ma mère, c'est de la glaise.
Arno est nu, assis, en pleine conversation téléphonique en flamand, une main tenant le cornet, l'autre caressant nonchalamment les fesses de Monique. Il m'aperçoit, il n'achève pas sa phrase, dépose le combiné. Tout va vite, désormais, surtout cette question qui rebondit
Le temps se morcelle, mosaïque, exercice rythmique.
Il n'a pas l'air gêné. Je suis là, à l'entrée de la chambre, il est nu, elle est nue, il parle, naturel, à mes sens stroboscopiques :
- Hey Man ! Salut ! I'm a mother fucker, Man!
Il part d'un grand éclat de rire. Ma mère reste allongée, sans mouvement. Elle est vivante, elle vit encore, vite ! vite ! sculptez-là ! peignez-là ! Ne la laissez pas comme ça ! Moi je ne peux rien faire, surtout pas l'écrire ! Oh ! Quel gâchis !
Et Lui qui se détend :
- Allez, man, tu peux venir dire bonjour, tu sais. Hey ! On est tous des mother fuckers ! Ouaaah !
Il tire la langue comme un varan, se passe la main dans le crin. J'aime pas. Il se lève, donne une claque sur le cul de ma mère, enfile son pantalon. Maintenant, juste maintenant, au moment où j'allais l'avoir à moi seul, une dernière fois, pour lui faire ce cadeau d'adieu ! Il ne peut pas être là. Il n'a pas le droit.
Monique n'a toujours rien dit, et moi je ne décolle pas de cette entrée ; il est debout, se dirige vers moi. Mon ventre, mon cul, mon propre petit cul, traversé par un courant alternativement chaud et froid. Ma tête pèse tout le poids de mon corps de plomb, et ma bite, bon dieu, on vient de me la cisailler, je la sens comme un membre fantôme ; mon caleçon, c'est de la gaze, il y a juste dedans une paire de couilles en pierre, un pansement, de la gaze et du froid, sûrement Pether, et mon sang qui coule...

Arno face à moi. Moi : un métier, une voiture, une maison. Je baisse les yeux.
C'est mon métier qui me réveille : demain, factures à payer, livrer une caisse enregistreuse, rendez-vous avec Christian, augmentation,... puis c'est ma voiture bleue qui me remet dans le trafic : je viens de voir un tragique accident de circulation, le corps d'une femme renversée. Gâchis ! C'est Lui, là, qui a fait ça. C'est un chauffard. Pas une vedette du rock. Il ne sait pas conduire, c'est sa faute !
Ma colère s'insinue parmi les cordons de sécurité il aurait pu faire quelque chose, le chauffard, il aurait pu la chanter, ma mère, s'il n'a pas su la sculpter.
Le pire, c'est qu'il en a le pouvoir !
Je devrais lui dire : " Arno, s'il te plaît, fais un truc avec le temps, qu'on revienne tous en arrière. Je te présenterai une pute et si ma mère te plait, tu pourras la chanter ". Mais il est devant moi, et cette fois il est dans son futur qui avance, je le bloque, je l'empêche d'avancer, de changer de pièce. Je ne peux pas dire son nom : on me peindrait en Lui sur une toile à deux balles, mon portrait à jamais serait un graffiti.

Il me pousse, pas méchamment ; il m'écarte pour se rendre à la salle de bains, me cajole en se glissant contre-moi: il passe sa main dans mes cheveux, vite fait, gentil, sans se compromettre, un geste d'affection qu'il récupère aussitôt, qu'il efface par une phrase idiote, pour reprendre le dessus, ou plutôt pour prendre définitivement la tangente sans s'engluer : " Iljeon, man, c'est un nom de star ! ". En avançant dans le couloir, il sort sa langue comme un vicelard malade, pour rire peut-être, plus sûrement pour ne pas se retrouver coincé avec une famille, et il gueule " on est tous des mother fuckers, yeah ! ".
Je n'ose pas encore le détester, je ne peux pas le détester, pourquoi le détesterai-je ? Je le suis jusqu'à la salle de bains, il faut que je bouge, il faut aussi que je me remette en marche vers ce futur obligatoire, et comme c'est lui qui a le futur en marche, et pas elle, qui est encore amorphe dans le lit, c'est lui que je suis, puisque mon futur à moi, on me l'a bétonné dans une maison blanche, puisque mon futur est en repos au parking.
Je suis le futur d'un autre, je poursuis une coulée de lave, oui, il faut que ça coule jusqu'au bout, que ça sèche et que ça durcisse, puis je pourrai oublier ou savoir, mentir ou apprendre, mais il faut que ça finisse de couler d'abord, que je puisse chier cette journée. J'arrive en retard.
Il me regarde comme si j'étais un animal ; il se plante devant les WC, sort son sexe encore humecté des sécrétions de la glaise. C'est terrible ! En pissant, il devient un autre, il devient sec : " Bon, man, je veux bien montrer mon zizi aux garçons et aux filles, mais si tu restes là, c'est toi qui vas le laver ".


Je l'ai cru. Je me suis vu lui lavant le sexe, j'ai senti sa bite, je vous jure, comme si c'était la mienne : le gluant, le gant de toilette tiède, et le râpeux de l'essuie, la dernière goutte qui est quand même pour le caleçon, tout ça j'ai cru, et ça m'a rendu mauvais de le croire, ça m'a vaincu de croire que j'allais devoir vraiment faire ce qu'il me demandait.
J'ai bondi, je l'ai frappé. Il tenait sa tige, ne protégeait pas du tout son corps. Il riait, même
" Merde, il est vraiment zot ".
Et moi, qui gueulais : " Ah, tu sais pas sculpter, Arno, alors tu la casses, hein, pour qu'on puisse plus jamais la sculpter ? Tu l'as cassée ! ".
J'ai empoigné tout ce qui était empoignable : le sèche cheveux, le verre à dents,... j'ai arraché du mur l'appui de fenêtre en marbre, je ne sais pas où j'en ai trouvé la force, mais de toucher du marbre, ça l'a décuplée. Chanter, c'est pas sculpter, et le marbrier n'aurait jamais sauté ma mère, j'ai pensé en abattant la tablette sur le crâne du Héros, qui a juste dit : " Râââ ", comme à la fin d'un concert. Moi, je lui ai répondu : " Je peux ", comme à la fin d'une répétition.

Extrait d'Iljeon de Bruno Wajskop, éditions QUE

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