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Bruno Wajskop est un moderne, un blessé, un constructeur-déconstructeur, une taupe
Le rythme de l'écriture de Bruno Wajskop est mu par l'énergie d'une chimère qui broie son anti-héros. Cette chimère est le bélier qu'il utilise pour défoncer une société considérée comme hostile.
Réalisme ? Paranoïa ? Tout lui est obstacle auquel il se heurte. Il devient l'arpenteur moderne du château de Kafka.
Comment exister ? se demande l'auteur. Que vaut son livre face à tous les autres ? Que donne-t-il de plus ? Comment trouver sa place ? Son style ? Que dire de plus ? Ou de moins ?
Qu'est-ce que la modernité ? Comment transformer son vide affectif en or ? Les mots, là, deviennent plus que de la merde, cet or psychanalytique. L'auteur les dégorge, refoule du goulot. L'exercice n'est pas vain. Il est interrogation dans une suite d'interrogations, îlot borgésien, pleur de Pessoa.

Le lecteur peut tout d'abord penser que ce livre, sans être indispensable, vaut plus que beaucoup d'autres puis, peu à peu, le style du romancier s'impose et une nécessité s'installe.
On comprend les hommes dépeints et le héros dérisoire, tous aliénés aux regards que les femmes leur portent, ou qu'ils espèrent.
Pour elle l'homme s'élève, se cultive, invente des stratégies avant de se confronter à la limite de son misérable espoir.
La Femme agit comme le marxisme pour le prolétaire ou la psychanalyse lacanienne pour l'intellectuel. Les femmes sont fascinées par le miroir aux alouettes des médias. Elles aiment ce qui brille, ce qui est toc. Que ce soit insignifiant ne fait rien. Ça brille. Sans cela, les hommes eux-mêmes seraient-ils si vains ? Le héros de Wajskop cherche à déboulonner et rejoindre en même temps ceux qui ont tout, ceux qui font briller le regard de ces femmes. Ah pénétrer dans la capitale des nantis ! Dans le lit de tous ceux qui ont pignon sur rue, et, plus précisément, sur écran de télévision !
Le héros s'attaque aux pantins, mais vaut-il mieux qu'eux ? Ceux qu'ils croisent le manipulent, il devient leur jouet mi-consentant mi-résistant. La fascination de cet arriviste cache-t-elle sa vanité ? Il crie à tous "je suis beau, je suis plein", son cri est l'uf de sa propre poule, mais le poussin qui en sortira ne sera-t-il pas déplumé ? Angoisse
Anarchie (copyright) révèle la problématique d'une société en mère castratrice. "Je te méprise de te faire avoir par mon langage, mais là n'est pas l'enjeu. Son seul fondement est de te dominer, et dès que j'ai réussi, je te méprise. Je t'aime et te méprise. N'arriveras-tu jamais à être mon maître ? Je souffre de te détruire, mais ne peux faire autrement. Moi-même, étouffée, je t'étouffe."
La lecture d'Iljeon, premier roman de Bruno Wajskop que je lis en second, confirme une réalité d'écrivain.
Iljeon présente la même révolte qu'Anarchie (copyright), la même bataille contre les codes sociaux, la même volonté de pénétrer dans un monde de nantis tout en étant conscient de cette vanité, conscience qui provoque le ratage, le boitement.
Wajskop ne se contente pas de dérouler une histoire, mais tisse une langue. Son univers, fait d'obsession têtue, façonne un style en but à des forces contradictoires, avancée des mots face à la résistance de la vie. Ces mots poussés contre un mur, dont l'énergie s'écrase et rebondit, ouvrent une faille qui se nourrit du cataclysme intérieur.
Beaucoup de gens écrivent, mais peu d'écrivains naissent. L'écrivain possède un membre de plus, placez-le où vous voulez, il, bouche, main, sexe supplémentaire
L'écrivain moderne, disons depuis Beckett ou Joyce, place la limite dans la construction même du récit. Il se confronte, ce qui n'apparaissait pas dans la littérature classique. Sa souffrance provoquée par une conscience ou pré conscience de sa limite, cette "finitude", crée un frein, un taquet, un butoir, quand Balzac, Zola ou Dostoïevski fabriquaient des univers exponentiels.
Bruno Wajskop est un moderne, un blessé, un constructeur-déconstructeur, une taupe, un talent actuel qui limite son nihilisme pour le mettre à la portée du plus grand nombre, avec souvent un sens de la formule à la Raoul Vaneighem (le monde entier m'envie et d'insulte je deviens citation).
La vie de ses héros se déroule en écriture automatique, en vaste empire des signes qui s'organise, et, dans le même temps, contient et fabrique le délire.
Je souhaite sincèrement une longue carrière à Bruno Wajskop, véritable écrivain.
Questions / Réponses
Thierry Zalic / Bruno Wajskop
TZ : Être publié est souvent un parcours du combattant. Avez-vous soumis vos romans à d'autres éditeurs que QUE ? Si oui, avez-vous eu des critiques circonstanciées ou seulement des réponses stéréotypées. Quelle a été votre réaction aux premiers refus ?
J'ai en effet soumis mes romans à d'autres éditeurs, et certains m'ont répondu dune telle façon que j'aurais certainement préféré recevoir des réponses stéréotypées, mais j'aurais perdu une occasion de rire. Un premier éditeur m'a contacté pour me faire des promesses qu'il n'a ensuite pas pu tenir. Les courriers qui s'en sont suivis ont eu pour conséquence que le responsable éditorial s'est fait renvoyer. Un autre éditeur a regretté que " Anarchie (copyright) " ne fut pas assez romanesque. Un dernier, enfin, a déploré dans le texte un manque de transgression. Doit-on nécessairement faire sodomiser des fourmis par des éléphants ? J'en déduis que certains éditeurs, aujourd'hui, attendent quelque chose de la littérature, ce qui me semble inquiétant : on peut imaginer que certains, pour répondre à ces attentes, vont écrire, ou écrivent déjà, afin d'y répondre. Depuis quand l'auteur se soucie-t-il de son lecteur ? Depuis que les éditeurs attendent quelque chose de la littérature, peut-être

oeuvres de Rothko
TZ : Depuis quand écrivez-vous ? Quand ce désir vous est-il venu ?
J'écris depuis que je me suis fait offrir une machine à écrire à l'âge de sept ans. Largement (trop largement ?) assez pour épuiser une certaine écriture. Le temps qu'on met, franchement, qui sen soucie ? Quant au désir, au moteur, c'est de l'ordre du secret de fabrication. Vous êtes un espion ?
TZ : Pour vous, l'écriture est-elle un travail ou un besoin ?
L'écriture doit être un travail. Pour avoir écrit, trop, sûrement, et depuis si longtemps, je me méfie du " jet continu ". Mais c'est un besoin, mon seul véritable besoin et il m'occupe à plein temps.
TZ : Y-a-t-il une écriture ou une sensibilité belge, comme il existerait des écritures juives, africaines, latino-américaines ?
Vous allez devoir faire le tri entre ma sensibilité juive et ma sensibilité belge. J'espère que les deux se complètent, que l'une ne prend pas le dessus sur l'autre. Mais là encore, quel juif est-on, et quel Belge parmi les Belges, et quel juif Belge parmi les Belges juifs ? pourvu que ce qui me caractérise ne se limite pas à cela. La Belgique a ceci d'intéressant, et de comparable à cet " être juif ", que ce n'est pas une nation. On échappe au carcan d'un état formaté, encadré, à un savoir aussi, à un savoir-vivre, certainement, mais aussi à un devoir, un devoir être, qui semble tellement imprégner la France.
TZ : Quelles sont vos affinités littéraires et, plus globalement, musicales et artistiques ?
Mes affinités littéraires et musicales ? Vous n'allez pas faire à mon sujet une sorte de " page perso " comme on en voit fleurir sur Internet : j'aime Machin, je fais du Chose. J'aime beaucoup Christophe Donner, Stefan Liberski (je viens de m'en souvenir, il a écrit " GS, écrivain tout simplement ", Albin Michel), Pessoa, et Freud.
Musicalement je suis ringard à jamais. Ça ne veut pas dire que j'aime Renaud, tout de même. Artistiquement, j'ai la chance d'avoir vu de près les uvres de Panamarenko, celles de Pascal Bernier, de Michel Frère. Jaime beaucoup Rothko, et l'artiste anglais Martin Richman.
  
oeuvres de Panamarenko
TZ : Que pensez-vous de l'Anarchie, et du mouvement Underground ?
L'Anarchie, j'en pense ce qu'en pense " Le Banquier Anarchiste ". L'Underground ? Vous avez l'air de me demander un avis sur une institution.
TZ : Vous reconnaissez-vous dans ce mouvement ?
L'important, c'est d'être lu. Ce qui m'est essentiel aussi, c'est la solitude. Donc, si votre question suppose que je me réunisse dans une sorte de confrérie, la réponse est non.
TZ : Avez-vous une conscience politique ou prônez-vous une résistance plus individuelle ?
Si j'ai une conscience politique ? me demanderiez-vous si je pense ne pas être un crétin, vous seriez plus direct. Je ne comprends pas le " ou " de votre question, qui oppose " conscience politique " à " résistance individuelle ". Les deux ne sont pas incompatibles. Pour l'heure, et je crains de dater, de tamponner ma réponse au cachet de la poste, dans un pays qui compte 92 % de personnes d'accord avec leur Président de la République, je ne sais s'il est prudent de répondre. L'action politique, la seule qui vaille, en littérature comme en psychanalyse, d'ailleurs, implique surtout d'uvrer, pas tant de manifester ou d'écrire à son journal pour dire ce qu'on pense de la journée écoulée.
TZ : Quel est votre projet le plus fou, réalisable ou non, que vous rêveriez de faire ?
Mon projet le plus fou ? Sexuellement ? Permettez-moi de ne pas vous répondre avant d'avoir rencontré vos meilleures amies. D'autre part, je travaille à la réalisation d'une série télévisée, mais je crains que la France ne soit pas le pays le plus réceptif pour ce que je me propose de faire, et que les États-unis me remplaceraient par une armada de trente scénaristes pour le mener à bien.
P.S. Merci beaucoup de votre intérêt. Vous concrétisez une résistance très heureuse à la noria des chroniqueurs littéraires dont on a envie de dire qu'ils travaillent tous pour la même entreprise.
Anarchie (copyright)
&
Iljeon
Pour accéder au meurtre d'Arno, extrait d'Iljeon, cliquez-moi
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