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Slip
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vers
Cosette et Ténardier
Luxe et scatologie:
nous sommes tous des arabes de la Goutte d’Or

par
Angélique de Wurmin,

héroïne de SLIP

Un tour en métro

J’ai parlé un jour à Thierry du vertige de l’insensé, de ce vide sous les pas, comme ça, pour qu’il voie la couleur de mes lèvres, en ce moment plus quetsche que framboise. Il s’est alors planté molto serioso devant moi et m’a demandée “Tu crois?”
Oui je croyais. Il m’a regardée dans les yeux comme on se pose sur une borne, au milieu d’un chemin, avec un sens d’un côté, un sens de l’autre côté, et lui assis au milieu. On était un mardi. Je n’avais pas de cours à donner, lui se reposait, on engrossait les belles.
- Je t’emmène faire un tour, m’a-t-il dit.
- Où ça?
- En métro!
- En métro?
Je sais que ça peut paraître ridicule mais il y avait bien dix ans que je n’y étais pas descendue. Entre sa Rolls et ma petite Mercedes, le métro semblait un lointain exotisme. Être célèbre dans le métro c’est descendre aux enfers, de la guimauve tout à coup distribuée à mille mains d’enfants. Mais il semblait y tenir, bien que sa plus grande célébrité risquât de l’affliger d’avantage. Jusqu’à Barbès-Rochechouart, nous nous heurtâmes à des regards comblés et niais; je signais quelques autographes, lui non.
Nous descendîmes à Barbès. Pourquoi Barbès? Étais-je en pénitence? Était-ce pour l’abattage? Allait-il me mettre sur le trottoir?

Des arabes,
héros de rêves fizgeraldiens vomis puis ressortis de poubelles

Il m’entraîna vers La Goutte d’Or, sans Bruce en protection, dans un monde où les occidentaux disparurent, ne laissant place qu’aux arabes parsemés de quelques noirs.
Les arabes nous dévisageaient de plus en plus bizarrement, tous sales, mal rasés, empuantis de crasse. Les rares femmes, vieilles et coiffées d’un fichu, avaient des vides dans la bouche à la place des dents et quelques plots en or pour faire piquets au vide. Certains hommes, qui se voulaient élégants sans doute, portaient des pantalons anciennement blancs, à pattes d’éléphants, sans ourlets, qui traînaient sur le sol, et des vestes crasseuses trop petites tirant à l’extrême sur les épaules. Ceux-là, héros de rêves fizgeraldiens vomis puis ressortis de poubelles, étaient encore plus effrayants, zombies entre deux mondes, revenants d’outre-tombe. Des têtes d’agneaux à l’odeur nauséabonde tournaient dans des rôtissoires sous des merguez pendues. L’odeur vraiment infecte me soulevait le coeur, il n’y avait pas une boucherie mais 3, 4, 5 et partout les têtes d’agneaux, toute dentition dehors, qui tournaient, brûlaient plus qu’elles ne cuisaient avec les dents de plus en plus blanches et la peau cramoisie qui puait. La langue arabe, autour, n’était pas celle de la poésie que je connaissais. Ce n’était que morceaux de mots mâchés et crachés dont les plus virulents me tombaient dessus. Ce monde était grouillant. La peur me venait de ce qu’il grouillait, la densité créait l’horreur, s’ils voulaient, on ne s’en échapperait pas.
Je me disais, enfin je ne l’ai pas formulé ainsi mais ça m’a traversée, qu’être objet d’horreur, de rejet, de haine ou de jouissance, c’était pareil. Dans la peur, c’est la sensation, pas le sens, on ne peut la comprendre si on n’est pas dedans, c’est la trahison de la raison, l’emportement. Là encore, avoir peur ou être amoureux voisinent. La raison se perd dans un nuage noir.

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À la recherche d'un emploi ou d'un meurtre


Il fallait marcher. Tous semblaient des bandits, l’étaient-ils sans doute que non, mais tous deux, seuls à être propres, la peur physique m’étreignait, l’impression de plonger dans la nuit du monde, dans une sous-humanité à part, avec leurs enfants, leur P.M.U. et leurs bières qu’ils buvaient dans leurs bars toujours crasseux. Je discernais dans les échoppes des robes à dix francs vieilles de trente ans, aucune babouche en cuir que l’on voit au Maroc au marché pour touristes mais des sandales en plastique à cinq francs. Je n’ai pas le souvenir qu’un seul d’entre eux sourît.
On pouvait croire que tous venaient de prendre une suée, qu’ils sortaient de quinze heures d’affilée prisonniers d’une salle des machines surchauffée à l’intérieur d’un pétrolier en fer où que pendant ce même temps ils avaient arpenté des quais à la recherche d’un emploi ou d’un meurtre et qu’à les croiser on pouvait être l’emploi et le meurtre, que tout à coup, on était la cause qu’ils ne soient ni propres ni rasés, qu’ils sont ce qu’ils sont parce qu’on est, et qu’en nous égorgeant ils retrouveront le silence. J’avais l’impression physique d’être au milieu de rats qui pouvaient aller impunément sous ma robe, non parce qu’ils étaient arabes, quoique ça ajoute à la peur, dans l’enfer tous aussi parlent une autre langue, mais parce qu’ils sont déchus, hors respect d’eux-mêmes, dangereux car au bout du rouleau, qu’ils ont voulu une Terre Promise et que la Terre Promise c’est ça.
Les mots ont du mal à exprimer cette sensation physique, ils ne sont pas séparés, - arabes - peur - misère - saleté -, misère et saleté sont à l’intérieur du mot peur et -arabe- est ce qui le met en majuscule. Je réalise qu’arabe et serpent c’est pareil, l’objectivité n’a rien à voir, on est le sujet aliéné de racontars d’adultes quand on est enfant, on a peur devant sans raison, où il faudrait que l’arabe soit propre comme le serpent dans une cage.
On est là en aristocrates des années trente descendant dans des guinguettes côtoyer des prolétaires malfrats, la peur au ventre, pour la peur d’être dérobés, tués, niés dans leur condition d’aristocrates ou renforcés. C’est eux qui avaient le pouvoir quand là, forcément, ils ne pouvaient se montrer que lâches, que Rien face à leurs femmes qu’ils amenaient pour se montrer ça, riches et lâches, des Riens supérieurs.
J’ai pris la main de Thierry et je l’ai lâchée. Sa main était froide et la mienne mouillée. J’ai vu qu’il était impossible, à ce moment précis, d’échapper à la peur. À moins d’être adopté par l’un d’eux mais ce n’était pas le cas. Je crois que j’ai compris le sadisme des français pendant la guerre d’Algérie. Ils ne pouvaient aussi qu’avoir peur. Je ne les excuse en rien mais découvre les excès de la nuit.

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Cette jonction entre vulve et cuisse, qui, chez le poulet, se nomme je crois le bréchet

Enfin, sains et saufs tout de même, nous rejoignîmes le métro, à la station La Chapelle. Sur le quai je vis deux belles jeunes femmes, touristes, habillées de façon assez provocante. Seule la totale inconscience avait pu les déposer à cet endroit. Qu’un objet soit tout à coup là, et désirable, paraissait surnaturel. Ces deux filles étaient deux cordes pour se hisser vers le retour. Une dégageait un sein, à cause du poids d’une paire de lunettes dont une branche était accrochée à son pull, et la seconde montrait l’extrême haut de sa cuisse par l’échancrure large de son short, cette jonction entre fesse et cuisse, ici haute, presque entre vulve et cuisse, qui, chez le poulet, se nomme je crois le bréchet.
Cette envie soudaine que nous éprouvions ensemble pour les deux femmes, nous ramenait dans le monde des vivants. Plus tard, il me dira deux choses, l’une pompeuse, que la jouissance est une échappatoire à la réalité, et l’autre, plus intime, qu’à la mort de sa grand-mère il n’avait eu, pour antidote, que l’irrésistible envie d’enfouir sa tête dans la peau fraîche d’une jeune femme, d’en respirer l’eau de chaque pore, en insatiable assoiffé, se dégager par cette chair des premières cendres de la morte.
Le métro nous emporta hors de cette nuit. Cette ligne Nation-Dauphine a la particularité de traverser des mondes différents. L’arabe laissa la place au populaire vers Pigalle puis au bourgeois à Monceau. À Malesherbes, montèrent des femmes à petits chiens et des hommes à cravate. On traversait des strates d’univers. Nous nous arrêtâmes à l’Étoile pour, à pieds, descendre les Champs-Elysées. Tout à coup on était reconnu, des gens nous souriaient, ou plutôt souriaient à notre image. Thierry n’avait rien dit jusqu’à lors, mais, maintenant, me montrait ostensiblement les boutiques de luxe que je connaissais déjà. Il me les montra précisément. Nous descendîmes la rue Saint Honoré où les pulls valent 3 OOO francs, la moindre chaussure 4 OOO, un tailleur 2O OOO. Devant la boutique du joaillier Ilias Lalaounis, il me montra les parures que portaient ses filles sur des publicités conçues pour Vogue. Chaque entrée de magasin était composée de matières précieuses cèdre, marbre, acajou, orme, loupe de noyer, feuilles d’or... Rien que je ne connus déjà mais après La Goutte d’Or, la disparité des mondes n’en était que plus saisissante. La peur avait cessé, mais les palpitations restaient là. D’habitude, j’aurais eu envie de ces objets qu’il me montrait précisément mais en m’emmenant là-bas, il avait sali mon envie. On est traversé par les mondes que l’on traverse. Un écrivain est une éponge. Je ne sais plus qui a dit ça. Là-bas j’étais du monde d’ici et maintenant je ramenais du monde d’ailleurs, puis je songeais à mon envie, qui ne pouvait être entière car la peur ne m’avait pas totalement quittée. Envie. Dans envie, il y a être en vie. L’envie est-elle opposée à la peur?
Thierry me dit alors: “Regarde, tout ce que tu vois, absolument tout, dans ces moindres détails et surtout par les détails n’est là que pour nous faire oublier qu’au fond, nous sommes tous ceux que l’on a croisés à La Goutte d’Or. Au fond, tout au fond, nous sommes ces arabes que l’on a croisés, ceux qui nous font peur parce qu’en fait, c’est nous. Et tout ce luxe, tout ces prix insensés sont là pour nous faire croire qu’on n’en fait pas partie, et plus c’est cher, plus c’est censé nous le faire oublier! Et s’il y a tant de clientèle arabe, c’est pour qu’elle l’oublie doublement.”
Nous sommes tous des arabes de la Goutte d’Or.
Cette idée me transperça, je me sentis tout à coup la culotte sale. C’est encore un sentiment absurde pourtant, en effet, j’étais ramenée à ce que je fuyais. L’élégance n’était que la fuite de son magma primitif, j’étais ramenée à la femme que l’on chasse parce qu’elle a ses règles. Thierry avait ri un jour de l’élégance “je n’arrêtais pas de parler d’élégance jusqu’au jour où elle et Gance sont partis. J’en avais trop parlé”. Là, je me sentais traversée par le fait d’être cette arabe de la Goutte d’Or, comme antan Cohn Bendit avait dit que “l’on est tous des juifs allemands”. Mais j’en comprenais le sens, ici et maintenant.

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le contraire de la nuit est l’artifice

Puis une autre idée me vint, aussi forte et évidente, qu’il n’avait pas formulée lui-même. Une idée venue en éblouissement au sortir de cette nuit, quand le déraisonnable des prix me sauta aux yeux c’est qu’il n’y a pas de jour, que le contraire de la nuit est l’artifice. Seule l’outrance peut faire obstacle à la nuit. C’est pourquoi, dans la mythologie arabe leur jour n’est ni un jour ni une nuit ce sont les 1001 nuits. Envers de la nuit, en-nuit. L’envers de la nuit, ce n’est pas le jour, c’est l’artifice. Le jour est impossible. On meurt dans le jour, on entre dans la nuit. L’excès c’est le jour de ceux qui savent comme le silence est un excès.
Le contraire de la nuit est la théâtralité. Les prix déments étaient de la théâtralité, du langage joué, de la littérature. Tout se mêlait. Ça me rappela Barthes, une nouvelle fois, pour qui dans la langue, servilité et pouvoir se confondent. “A nous, disait-il, qui ne sommes ni Abraham, chevalier de la foi, ni surhomme nietzschéen, il ne reste qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part, littérature.”
Partis d’une confusion totale du symbolique avec les 3OO fillettes essayant de déféquer sur la litière pour chat, sur fond de chants d’oiseaux, avec comme arme des rouleaux de papier hygiénique frappés de l‘effigie de Thierry, on avait atterri dans le réel des arabes avant de se retrouver, confus, dans l’imaginaire de la rue du faubourg Saint Honoré qui ne prenait sens, ou non sens, que dans sa théâtralité. Voyage à l’intérieur de la confusion de l’homme, avec, en fil de lin, la peur et son non sens. Quand lui ai-je pris la main, je ne sais pas, mais à un moment j’ai craint d’être perdue.
Sa bouche était près de mon oreille et sa phrase se mêlait à l’approche du baiser “tu vois bien, le vertige de l’insensé dont tu sembles m’accuser, ce n’est pas le petit que je provoque, c’est le grand de la vie même!”

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