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illustration: TZP studio
C'est Pierre qui m'apprit la mort de Jean-Baptiste.
-Tu te rappelles comment il était, Emmanuel. À force de toujours insulter Hérode Antipas et Hérodiade, ça devait bien finir comme ça.
-Pourtant, on disait cet Hérode lâche, couard d'actions.
-Oui. Ce n'est pas tant Hérode qui désirait la mort de Jean, mais sa femme Hérodiade, qu'il avait épousé en violation de la loi juive, car elle était fille de son demi-frère. Jean-Baptiste ne cessait pas de dénoncer cette violation jusqu'à ce qu'Antipas finisse par le faire arrêter et l'engeôle dans la forteresse de Machéronte. Il ne cherchait pas tant à le tuer qu'à faire taire sa femme qui le traitait de lâche en permanence, de faible, de bande mou.
Le second soir de l'emprisonnement de Jean-Baptiste, il le convia à une grande fête. Jean-Baptiste, toujours habillé de sa jupe de peau de chameau retenue par une simple ceinture de cuir, détonnait dans la cour parée de soieries. Habitué à ne manger que du miel et des sauterelles, il ne goûta aucun des mets sophistiqués. Quand Hérodiade lui reprocha sa saleté par ces mots : "Tu aurais pu te laver pour venir à notre fête", il lui rétorqua : "J'ai les pieds puants, mais tu n'es pas digne de dénouer mes sandales".
L'épouse grimaça. Des danseuses s'avancèrent, et, parmi elle, Salomé, fille d'Hérodiade et belle-fille d'Antipas. L'adolescente se trémoussait maladroitement, puis sa maladresse tourna à la lascivité. Elle se lâchait, se prenait au jeu au fil de la montée du sexe de l'Antipas bandant. Elle voyait le membre se lever dans les yeux de son beau-père et le cruel désir lui vint. Elle s'emparait de ce sexe qui pour elle se muait en poignard. Le dard aiguisé dans une main, elle tournait autour des mâles, de plus en plus près, au risque d'en poignarder un.
Elle faisait bander à mort Hérode bien plus que sa mère. Tous les convives mouillaient désormais pour elle, hommes et femmes, même des animaux en avaient envie, dit-on. Ses cuisses fuselées couinaient, ses petits mamelons caquetaient. De ses maigres solives, elle bâtissait un palais. Tous voyaient plantureuse cette mince esquisse. Les nantis dédaignaient les cailles et n'aspiraient qu'à goûter à son petit en-cas, mais elle n'en avait cure, ne fixait que le seul qui restait de marbre, Jean-Baptiste. Les yeux de Salomé avaient beau dire : " Devine quoi, je suis nue sous mes vêtements", rien n'y faisait. Les louches versaient abondamment du vin grec dans des gobelets d'or car tous les gosiers étaient secs, sauf celui de Jean qui ne demandait même pas d'eau.
Certains virent Jean en lévitation, mais tous ne le disent pas.

En transe, Hérode Antipas ne quittait pas sa belle-fille des yeux. Elle commença à retirer un à un ses bijoux comme l'on dépouille un coffre de ses précieux secrets, balança un collier de perles puis un second de grenat. Les cliquetis des dents remplacèrent celui des perles quand elle se pencha pour ôter ses bracelets de chevilles, offrant par l'échancrure la vision entière de ses jeunes seins. Enfin, elle défit une épingle de nacre et ses cheveux s'affalèrent sur ses épaules, épais, soyeux, chauds des odeurs de sa nuque.
Antipas ne savait plus comment la remercier pour cette danse.
-Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai. Veux-tu la moitié de mon royaume ?
Hérodiade, la mère, tiqua. Comment pouvait-il offrir la moitié d'un royaume qui lui appartenait ?
Mais l'adolescente mijaurée se moquait bien du royaume. Elle ne voyait que son honneur blessé. Sa fierté se piquait à cet homme qui la rendait impuissante, stérile, vaine, enfant…
-Je ne désire pas ton royaume ! La seule chose que je veux, c'est que l'on m'apporte la tête de ce Jean-Baptiste sur un plateau !
Antipas fut horrifié. Il aimait bien ce fol inoffensif. Mais comment, devant tous, déroger à son serment ?
Il fit un signe. Un garde ramena Jean en prison et revint peu après, portant la tête décapitée sur un plat.
-C'est Salomé seule qui aurait demandé cela ?
-Certains, Emmanuel, disent que sa mère lui aurait soufflé.