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Ren-
contre
de
Dieu
dans le con
de Madeleine
illustration: TZP studio
Madeleine, la rescapée de la fête en l'honneur de Salomon, me suivit quand je quittai Jérusalem. Je ne pouvais plus m'en défaire. Toujours derrière-moi, à deux cents ou trois cents mètres, parfois moins quand la foule se densifiait.
-Je n'ai pas besoin de compagne ! lui criai-je.
-Tu es le seul qui ne me rejette pas, laisse-moi être seulement ton ombre, épargne-moi.
-Non. L'ombre toujours vous dévore. N'as-tu pas vu que j'ai trahi mon ami ? Ce n'est pas sur toi qu'est désormais la honte, mais sur moi. Lâche mes pas !
Elle ne m'écoutait pas. La femme jamais n'écoute.
-Si tu ne veux pas que je te suive, il te faudra me tuer, ou pour le moins me casser les jambes, en au moins dix morceaux, et encore, je ramperai en m'aidant des bras. Il te faudra casser mes bras, et encore, je m'accrocherai avec les dents. Il te faudra me casser les dents, et encore, j'affréterai une carriole pour te suivre et paierai les porteurs avec mon corps qui a toujours été la tirelire de ma vie.
-Pourquoi tant d'acharnement. Je ne suis rien.
-Ce rien m'attire et me remplit.
Ainsi m'accompagna-t-elle de loin. Je la regardais du coin de l'œil, bel homicide sur pied. Comment me poignarderait-elle ? Chaque être qui vous aime n'aspire qu'à vous détruire. Bien que le rejetant, j'aimais Dieu, et savais qu'au mieux je le trahirais si je n'arrivais pas à le tuer. Dieu, cet autre père qui m'abandonnait, me laissait aux mains des tueurs et aux langues des anarchistes. En ne se montrant pas à moi, il redoublait l'abandon de mon véritable géniteur. J'étais abandonné par le bas, abandonné par le haut, corps et âme en jachère. Dieu était la métaphore du vide et le juif le tourment de Dieu.
Un jour… Quand ? À l'approche du désert, Madeleine avait bu. Elle dansait. Les deux cents mètres étaient devenu cent, puis dix. Maintenant, elle se collait presque. Mon heure était venue. Je ne résistais pas. Depuis le temps que j'espérais que quelqu'un me tue, me délivre. Elle dansait. Sa flamme impudique n'avait plus de borne. Elle dansait languissamment, sa tunique descendait, que serait-elle ? Un œuf sans coquille ? Un lynx écorché ? La nudité étonne toujours, mille corps vus ne sont pas mille fois la même leçon apprise, mais mille nouvelles pages vierges. Ses épaules blanches louvoyaient. Ses seins palpitaient au-dessus de la plaine fatiguée de son ventre. Oh qu'elle m'en voudrait que les femmes me fussent si indifférentes ! Elle me haïrait. Jusqu'où ? La haine des femmes pouvait-elle être pire que le mensonge de ma mère ? Je superposais le visage de Madeleine à celui de Marie. Joseph l'enculait, et j'étais Marie. "Danse, danse", lui soufflai-je. "Ne dis rien" signifia-t-elle de son index sur ma bouche.
Nue, dansant, chantant, elle susurra : " Je suis venue dans ce désert pour rire de ton amour, car le désert est plus tendre et l'épine m'embrasse mieux."

Elle prit mes mains pour les marier à ses tétons, mes doigts pour tendre ses corolles d'acajou. Ses cheveux balançaient vers le Nord, vers le Sud, vers les basiliques de Rome, le Pirée de la Grèce, le Temple de Jérusalem : "Je suis venue au centre du néant pour hurler que tu n'as jamais mérité ce que j'ai tant voulu donner."
Elle dansait, les narines coupes gonflées. Elle se pliait et ployait, hélice autour de ses hanches, mamellaire radeau du désert, rut de chamelle, tantôt sur une jambe, tantôt sur l'autre, tantôt les écartant. Elle dansait avec ses dents de fille, neige glacée et banche, et coupantes.
Tandis qu'elle dansait, le désert, faussement limpide, devenait brûlant. Soudain, sa robe tomba, et, de son con, s'élevèrent gargouillement et râle, comme gargouille et râle l'eau de conduits engorgés la nuit. Et de son con sortit un discours humain.
-Jésus, Jésus, devine mon énigme ! Parle ! Parle ! Qu'est-ce que la vengeance sur le témoin ? Recule, je t'en adjure, c'est ici glace lisse ! Prends garde, prends garde que ton orgueil ici ne se brise les jambes.
Quelle vengeance ? Quel témoin ? Quelle glace lisse ? De son con sortaient des flammes. De quel orgueil parlait-il ? Et de quelles jambes ?
-Tu te crois sagace, ô fier Jésus ! Devine donc l'énigme, ô dur casseur de noix, l'énigme que je suis. Parle donc, qui suis-je, moi ?
Dès que j'entendis ces paroles, je sus qu'elles appartenaient à Dieu et la compassion me terrassa.
Dès que Dieu sentit que j'éprouvais pour lui ce que l'on offre aux pauvres et aux déshérités, il cria : "AH, JE LE SAVAIS, TU ES LE MEURTRIER DE DIEU !"
Je l'avais entendu, et bientôt je le vis.
Madeleine prit mon visage et le pressa contre son sexe. Je me cognais d'abord aux poils puis ils s'ouvrirent, lianes ou des chardons se dégageant d'une grotte. Elle ventousa mes lèvres à ses lèvres intimes et ma tête entra tout entière dans son con. Je respirais le même humus que les mourants en terre, je me retrouvais Jonas dans la baleine et, au bout d'un moment, combien de temps… Toujours elle dansait, enserrant en elle le petit Jésus, parfois enfourné, puis dehors, enfourné, puis dehors… Elle usait de ma tête comme d'un godemiché. J'étais l'extériorité de ses entrailles, son pénis, sa bite divine, et, dans le con, je vis celui qui m'avait parlé, DIEU ! Il souriait. Je crus entrevoir une tête de cyclope. Non, son œil était un soleil qui attirait et brûlait, double, pas seul.
Quand il ouvrit la deuxième paupière, un deuxième feu rayonna. Dans quel dessein ? Pour aveugler celui qui le regardait de trop près ? Mais je n'étais pas aveuglé, et je le voyais tel qu'il était, laid. Jamais sur terre, je n'avais vu pareille laideur. Il était franchement raté, mal fini, entre vieillard et éternel fœtus.
-Mais Adam était beau et tu es laid. N'as-tu pas fait l'homme à ton image ?
-Je l'ai fait tel que j'aurais voulu être, mais il est aussi laid que moi, ou aussi beau, ça dépend si on a la foi.
Il avait failli demander : "Est-ce là celui qui ne croit pas en moi ?" Mais ma question l'avait pris de cours. Je lui volais les mots de la bouche. Tout de suite je lui demandais des comptes.
-Adam n'existe pas. Tu es Adam. Tu as sa beauté. Tu as ma beauté.
Dès lors, je restai sans voix devant ce monstre. Je découvrais à chaque seconde de nouvelles monstruosités. Ce Dieu avait des seins ! Pas trop gros, de taille moyenne, et velus ! Et il était nu, quasi-hermaphrodite car sous son sexe plutôt petit, s'ouvrait le cratère féminin entouré de lèvres pourpres, presque noires, mal caché par d'infimes petites bourses. Dieu pouvait-il créer avec des bourses si petites ? Qu'il eût une petite bite, ça ne faisait rien, mais les bourses ? Dieu était un Père-mère difforme.
Dans ce con de femme où nous nous faisions face, ce Père-Mère m'oint du Saint Esprit. Moi qui jamais ne ferais l'amour avec une femme en porterais désormais l'odeur. Dieu se leva un peu. Je vis mieux ses monstruosités. Les exhibait-il ? Pourquoi eus-je envie de téter ses seins ?
Déjà, l'odeur dont il m'avait oint m'envahissait. Tout le reste de ma vie, je serai beau, sans jamais vieillir, et puerai de cette intimité féminine, de ces relents écœurants et envoûtants qui vous restent sous les narines, cette odeur à nulle autre pareille, odeur de terre et de fond de mer, d'humus, odeur de tout sauf de ciel, odeur du Très Bas, de l'Avaleur, du Père-Mère.
Quand on embrasse le sexe de la femme pour voir par quel chemin on est sorti de sa mère, on veut d'abord s'en dégager, puis on pressent que le salut passe par l'acceptation. C'est ce que doit ressentir tout enfant qui vient au monde, et, quand l'odeur l'envahit, il sait que la vie est là. Puis la douleur du premier air qui entre le brûle, et son cri de nouveau-né répond à celui de sa mère.
Il paraît que je suis né sans crier.
Me voilà désormais dans le con de Madeleine et face à celui de Dieu. Pourquoi dans cette odeur, devant cette horreur, me vinrent des larmes, accompagnées de ces mots : "Qui suis-je, papa ?" Je pleurais en prononçant pour la première fois le mot papa. J'avais toujours appelé Joseph, père. Je pleurais. Ce mot papa descellait la pierre au-dessus de mon puits.
-Qui suis-je papa ? réitérai-je.
-Rien, répondit Dieu, rien, répondit le monstre, tu n'es rien, une part de moi-même, beau comme je suis laid, vide comme je suis plein, rien comme je suis tout. Dieu en toi s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu.
Il ricanait. Sa bouche sentait la merde. Ses dents se déchaussaient. Nous étions ensemble, notre rencontre se faisait dans le trou de l'univers, si profond que nous pataugions dans de l'eau stagnante, jamais changée, un nid de maladie, de toutes les maladies. Si j'en réchappais, je saurais guérir autrui, mon toucher ferait renaître les mourants, corrigerait les estropiés, rendrait la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets afin que tous voient que je ne suis rien, seulement l'oint de Dieu, un mirage, une nécessité, le souffle vital, le temps moins un, un hoquet sidéral, une parenthèse, un bâton de feu, le calme plat, le bruissement infini de l'onde, le véritable Adam, non pas nu mais revêtu d'un habit de lumière qui ne deviendra peau qu'à partir du péché. Moi le tout beau, le sans tache, l'agneau de Dieu, puerais d'être sorti du trou rance, d'avoir touillé la vérité dans le pot sacré de la femme avec Dieu, et de l'avoir vu si difforme.
Quand je sortirai du con, quand le con me recrachera comme la baleine avait recraché Jonas, Dieu m'aura gravé dans la peau de ses mains.