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Ma vie chez les obsédés
Mais pourquoi tu mets toujours des bites sur les toiles ?... Et énormes en plus. Des matraques ... C'est lourdingue à force!

... On a compris !... Des queues.

des membres ... Et les boyaux et autres bouts de viscères, c' quoi?

Avoir ça sous les yeux à longueur de journée c'est catastrophique !... Tu veux écœurer les acheteurs ? Ils ne mettront jamais ça chez eux, ou alors dans un petit coin, péniblement. Y'a pas que des obsédés comme toi sur la terre..."

- "Justement, c'est ça mon truc, c'est ma spécificité justement, pourquoi je devrais changer c'est pénible ces remarques à la fin ! ...
Et puis quoi, on n'aurait pas le droit ? Et pourquoi ? C'est pas mon problème si ça gène certains."

Ainsi va la conversation avec Anne depuis quelques années. Un bel échange, façon ping-pong où chacun reste sur ses positions et fait match nul.

Pourtant Anne Van der Linden est sans doute une des meilleures peintres expressionnistes de ces derniers temps.

(Oubliez George Grosz ou Otto Dix et autres, je parle d'un expressionnisme de maintenant). Je dis expressionnisme car tout : sujet, traité. touches, couleurs... vise à la force de l'expression, à rendre la présence de l'image obsédante et affirmée comme un panneau de cirque. D'ailleurs, faut-il que notre temps soit mou et que la race des marchands d'art - à la Kahnweiler ou même Castelli - soit éteinte ou vaincue, pour que cette personnalité rate et forte, reste encore après tant d'années et de publications, seule et livrée à elle-même ...
Comble de l'ironie, les grands peintres femmes sont rares

On en est donc là : une belle peintresse, forte. douée et tout ... Elle est connue bien sûr des Initiés et des vrais amateurs, c'est-à-dire une poignée de gens, mais pas moyen de sortir du ghetto des artistes dit sexuels ou trash ou pornos ou dieu sait quoi ...

Je ne vais pas baratiner des heures sur le sens de ses visions, sur ses compositions, sur sa manière même, vous pouvez voir et juger vous-mêmes, ressentir l'émotion ou le mystère.

Ce que l'on échafaude dans nos têtes c'est à peu près ça: le fatras fantasmatique de Anne est un peu le nôtre.

Même moi qui pense qu'un marquis dessiné façon fer forgé, ça peut être aussi neuf et révolutionnaire qu'une femme empalée sur une colonne métallique, j'ai l'honnêteté de reconnaître qu'il y a du vrai dans les images d'Anne, même si je n'arrête pas de la critiquer et de la provoquer.


Pourquoi je voudrais qu'elle mette moins
de bites et de boyaux ?...

Parce que toute période à une fin, parce que l'évolution est à ce prix. parce qu'elle n'y perdra rien, parce qu'elle pourra y revenir dans certains cas et parce que ça ne change rien, à part peut-être un peu d'allégement et que la peinture a aussi besoin d'être légère.

Elle avait peint une grande toile vive et colorée de femmes de dos, étendant du linge dans le vent. La force, le mystère et la magie de cette toile sans aucune épine me reste encore.

La force de la peinture d'Anne ne vient en rien de l'anecdote, ni du sadisme de certaines situations. Il vient de la manière même, au-delà d'elle. De la matrice ou du jet peu importe. Sachet-le, petits peintres, dessinez-moi un chien, un nu simple et je saurai bien où vous allez. Les choses naissent à notre insu, lorsqu'on ne fait aucune manière ni effets. Pas de style, pas de scandale, rien. Les choses doivent venir d'elles-mêmes ....

Pas la peine de calculer, de composer et de préméditer comme des malades. Nos œuvres les plus spontanées sont souvent les plus réussies. Oubliez le jargon classique et a posteriori des mandarins de l'art pour expliquer pendant des heures les sous-entendus, intentions et aspects cachés de toiles classiques.

Ces baveux parlent d'eux mêmes et après-coup - rien de pire que ces carabiniers, inspecteurs des travaux finis - Ils n'étaient pas là et ne savent pas ce que l'artiste a fait ou pas.

Ils décortiquent tardivement comme les hyènes lacèrent un cadavre.

Ce sont ces mêmes débiles qui ont vidé l'art de son sens premier, qui ont enterré la représentation comme des cons, puis le support même, ce qui est encore plus con.

Résultat, le vieux cul-de-sac du conceptuel qui bloque tout, on connaît la chanson Vieille rengaine intello-primaire des années soixante, avec l'Etat aujourd'hui pour plomber le tout.

Halte à la branlette et aux institutions, Il faut plein d'Anne Van der Linden pour réanimer la peinture, le dessin, appelez ça comme vous voulez, mais sachez que toute création se joue là : sur le terrain et sans détour: Il faut exécuter un objet, une pièce, un panneau, une toile, un machin.

N'en déplaise à tous les bidonneurs qui voudraient que l'art évolue comme la technologie: des moyens sophistiqués qui n'ont plus de fin véritable, et puis quoi encore!

Jean Rouzaud

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