interview de Thierry Zalic par Bernard Pivot (in SLIP)
lettre à Bernard Pivot
interview de Thierry Zalic par Bernard Pivot (in SLIP)


la seconde voix, dans la colonne de gauche, est écrite par la co-héroïne de SLIP, sa femme.


Aujourd’hui, devant les autres, à pontifier devant le divin Pivac:

- Cher Thierry Zalic, il y a à peine un an vous vous fîtes déjà remarquer par votre ouvrage “Journal d’un Obsédé sexuel” et, à cette même émission qui s’appelait jadis “Catastrophes”, votre apparition avait créé un scandale mémorable. Je me souviens qu’à la question “dans quel végétal ou animal aimeriez-vous être réincarné?”, vous aviez répondu “en femme!”, ce qui n’avait pas plu à tout le monde. Aujourd’hui vous défrayez une nouvelle fois la chronique avec “SlIP”, suite pourtant très différente de votre “Journal d’un Obsédé sexuel”. Le prix Renaudot que vous venez d’obtenir devrait être une consécration mais la presse est toujours déchirée à votre propos. Je ne sais qu'en penser... Expliquez-moi ce déchaînement.

- Mon cher Pivac ainsi vaque la pie oui, pourquoi les loups hurlent-ils? Est-ce la faim, le froid, la misère sexuelle? Marx disait que les constructions sociales ne sont qu’une façon de canaliser les rapports sexuels d’où découlent les rapports de classe quand Freud arguait qu’avoir de la classe est anal’yser les rapports sociaux en prenant l’homme à rebrousse-poil, et moi, entre les deux, ma bite s’en bat lance, pourtant, en con craie j’écris avec des maux sur le grand tableau du lavis oui! Freud et Marx toujours, aujourd’hui et maintenant, là quand, on croit que je suis grossier mais je les vulgarise, je les vulve gargarise parce que le champ pagne et pas tout nu, pan! Je débouche. Sur rien. Oui. Je parle d’instinct vital, certains entendent instinct trivial et ils osent dire que c’est moi qui trompe Eustache. Dès que l’on dit, “oui l’homme a un instinct sexuel et il le signe sur le dos des femmes”, on crie au machisme. Mais je dirais qu’ils le signent sur le dos des animaux, ce serait pire, on crierait à la zoophilie! Le champ pagne et pas tout nu, voilà! Je débouche. Sur rien. Oui.


- Oui... Enfin, non... vous débouchez, si. Mais donc, vous niez être pornographe?
- Ah, mais si, Messie! J’y tiens, je le tiens, et le premier qui rira aura une tapette hi hi... Pornographe oui, parce que je montre le Réel, ce sur quoi on bute, je dirai on bite, ce qui nous sous-tend, ce qui tend sous nous, l’innommable, ce dont on ne doit pas parler. Je déconstruis le monde ô erreur, Freud disait que tout rejoint la sexualité mais moi j’en pars pour arriver ailleurs mais encore faut-il franchir le cap, accepter d’être nu pour aller se rhabiller mais voilà, c’est à moi qu’on demande de se rhabiller! Ah, drame de la philosophie! Pas philoso-phe, fait dans l’oeuf oui!
Mais coque. Oui, oeuf coque j’espère, j’es-père car pas de papa, c’est mon drame dont je fais d’rame de papier.
- Euh... oui, mais en choisissant “Slip”, comme titre, ne provo-quez-vous pas autrui?
- Provoquer les truies? Vous me poussez à l’intelligence Bernard, ô Dieu que je n’aime pas ça oh non! Vous allez saboter votre émission mais enfin... Tout expliquer... tous es sliper. C’est vulgaire. C’est vulve guerre, alors allons-y en gentille Athéna, puisqu’il vous faut du cérébré. On peut se demander en effet pourquoi le mot “slip” a une charge affective si grande, que n’ont pas “caleçon”, ou “culotte”, quoique dans “culotte” il y ait “cul”. SLIP est le point aveugle, par excellence, des interdits, car il n’y a pas de raison objective pour ne pas le prononcer contrai-rement à bite, couilles, ou cul, que je n’oserai jamais prononcer chez vous. Pourtant, l’effet est le même. Alors pourquoi le refus du mot SLIP?

-
J’y vois au moins trois raisons, qui sont toutes sonores et liées à l’enfance.
Une première raison sonore. Slip a un son sec, pas saucisson sec, avec la fin du mot ip, et un début qui peut traîner en longueur en élargissant le s ssssslip. Vous entendez physiquement le son du caoutchouc tendu, puis lâché.
Une raison associative aussi, on associe toutes les “sifflantes sexuelles”, sssssslip, fesssssses, ssssssexe, comme Victor Hugo associait “Que sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes”.
Enfin une raison archaïque, les sifflantes sont apprises très vites par les bébés, les s et les z, zizi, ze vais zouer... alors que les chuintantes (chemise, chat), labio-dentales (feu, veut) ou dorso-vélaires (gamin, kaolin) sont plus complexes et acquises plus tardivement d’où encore l’association des deux plaisirs les plus anciens, oral et anal, en prononçant (oral) les mots sales interdits (anal), et qui plus est dans une connotation génitale (adulte). Ainsi, en soi, est-ce toujours l’enfant le plus immature qui nargue. Alors, Bernard, ai-je été suffisamment didactique, Zalic, épique, sadique, ai-je bien répondu, l’ai-je bien répandu?
- Oh oui! je n’en attendais pas tant. Vous me surprenez!
- Je vous surprend où, aux toilettes? Ça me rappelle une femme qui veut faire patienter son soupirant en lui disant “ je vais me changer”, et l’autre de lui répondre “en quoi? En zèbre?”
- Euh, oui... Sur cette intéressante métaphore nous allons en rester là.
- Oui. En rester las. Moi aussi, parfois.

Je me souviens qu’avant que Thierry ne termine son livre, parfois il boitait. Oh! pas avec les jambes non, mais avec tout le corps qui brinquebalait, puis n’avan-çait plus. Chaque jour devenait alors arraché à l’existence, sursis constant dans le croche-pied de ses doutes dû à son souci de plus en plus grand de perfection, dans le vertige du mot poli (en bijou), dans l’impolitesse de la structure, où le contraire, quand la place du sujet devait ne jamais être acquise tout en apparaissant naturelle.
Le jour, il riait, “après l’homme de marbre, l’homme de fer, l’homme de paille, je serai à jamais l’homme de slip”, mais la nuit il reconnaissait, pour reprendre les mots d’un psychanalyste, “qu’écrire est seulement tenter de se faire nommer, afin que son nom, si fragile, déchiqueté, malmené, soit finalement en toutes lettres sur des milliers de petites dalles, plus souples et plus mobiles que celles d’une tombe”.

Par ce titre dérisoire, “Slip”, et son héros portant son nom, il se donnait à déchiqueter, anticipait la cabale, riait de tout écrivain qui désire que son nom devienne objet, fétiche, d’où son grossiss-ement sur les bandes annonces, riait aussi de cette mise en scène du nom qui finit par en prendre la place. Alors, dans ses livres, on trouvait le nom jeté et la mise en scène jetée, et, pour lui-même, plus grave, il voulait suivre une perche invisible qui donnerait un peu de sens tout en n’y croyant pas. Pourtant, il sentait dans sa chair la structure idéale possible, qu’il toucherait comme une peau, ce lien vertigineux où le dire prendrait une forme que l’on sentirait sans que pourtant elle soit dite.

Quand l’appréhension de cette juste structure ne lui venait plus, une fatigue de vivre le vidait de ses substances, il devenait diarrhées, vomissements, extrémité des membres fébrile, frissons, état dépressif intense qui le clouait au néant pendant plusieurs jours tout ça parce que le verbe le fuyait, qu’il ne captait plus ce certain mouvement incertain, soudain manque de magie, soudaine cassure du fil qu’il amplifiait de son refus.
Puis ça revenait et il remettait cent fois le texte, l’ouvrage, sur l’ouvrage, sur le métier.
Il refusait de se rendre à Dieu en cédant, choisissait l’infini, toujours du côté de Satan, à l’éternité, du côté de Dieu, le vertige du questionnement sans fin au lieu du dogme qui serait une ponctuation, un arrêt de tous ces sens possisibles qui défilent. Ainsi était-il dès lors dans la déperdition satanique de vouloir créer ce texte infini, dans le chaos, plongé dans cette hérésie qui refuse que l’exégèse ait un terme.
L’outrance de mes mots savants n’atteint pas le désespoir des siens, animaux fous de jungle caracolant lors d’incendies dans les savanes.
Je l’enserre dans mes bras, lui baise le front, les joues et les lèvres, communique ma chaleur. Il se sent mieux, il, lui, mon homme. Je, moi, sa femme, le berce, mots tendres forment une coque autour de lui qui fait mal à ton corps d’enfant perdu.

Il est dans l’espace hors du monde et de ses dangers, ma voix, mon odeur, ma chaleur, le lange, lui talque les fesses, lui lave la figure doucement avec un coton imbibé de lait. C’est mon lait qu’il sent couler au fond de sa gorge, ça va un peu mieux, c’est rassurant, il n’est pas tout seul face aux démons.

- Dodo, mon amour, l’enfant dormira bientôt. Thierry est tout petit et il va mourir si je le lâche, si le bercement cesse. La convulsion est là, qui se meut dans son corps d’enfant et seule la pression de ma main sur son thorax fait que la crise ne se déclenche pas. Un jour il passera tout entier dans le corps de l’abandon mais pour l’instant je suis là, qui le berce et lui chante des berceuses d’enfants. Il est un corps perdu qui se noie et me tient très fort la main. Je lui souris et le presse contre mon coeur, murmure “je suis là et il s’endort enfin, apaisé.

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