interview de Thierry Zalic par Bernard Pivot (in SLIP)
lettre à Bernard Pivot
Pourquoi je ne vous regretterai pas

Cher Bernard,

Je vous ai longtemps aimé. Comme beaucoup d'autres, j'ai sucé l'hostie de votre messe. Votre prêche était goûteux de viande ou de réglisse, le rôt plus ou moins tendre mais on venait pour ne pas perdre le jour où il serait succulent.
Journaliste, je vous ai encensé et offert un Sublime d'or quand je tenais chronique.
Puis voilà… apprêtez vous à rire… J'ai écrit un des plus grands livres du siècle sous le titre SLIP qui est là pour que l'on s'en gausse avant de savoir que ce slip est un pan incliné pour descendre les bateaux à l'eau, première acception donnée par le Robert.

Dans ce vaste roman (presque 600 pages), écrit souvent sur deux colonnes et à deux voix, féminine et masculine, la fausse mégalomanie de l'écrivain s'efface sous la chair de ses prédécesseurs cités à tour de bras (de langue), Joyce, Aragon, Barthes… Vous-même êtes très présent sous forme d'interviews imaginaires avec l'auteur.
Nul écho de ce roman que je vous ai envoyé. Seul journaliste à l'avoir cité comme coup de cœur, PPDA.

Par la suite, j'ai regardé autrement vos émissions et me suis aperçu que la qualité de vos écrivains avait moins d'importance que les mécanismes du pouvoir. Ce qui importe est d'être le premier à parler d'un livre pas encore en vente, d'inviter le cheptel ami dont l'audience est assurée, de repasser sur la même table des plats de plus en plus réchauffés.
Vos extases n'exhalaient plus la rose mais le rance, votre bonhomie n'était plus celle d'une vierge provinciale sympathique mais roulis de tripe, quadruple ou quintuple mentons (au figuré, pas au propre), le collier de perles de vos rires cassait.

Aucune découverte, aucun éditeur marginal voir auteur auto-édité génial passé entre les mailles du filet éditorial car celui-ci est sûr de soi et en chœur clame qu'aucune pépite lettrée n'échapperait à la traîne de son chalut.
Bref, à votre émission, que du pignon sur avenue, vous n'innoviez pas ô cuisinier, mais passiez les plats.
La mort vous a gagné avant la fin et, malgré mon quota d'amour restant à votre égard, il n'y a rien à regretter à votre arrêt, sinon pleurer sur sa jeunesse perdue.

Mon SLIP se vent plus ou moins, sous le manteau dirais-je pour être drôle. (Il est tout de même dans les FNAC.) On en trouve des extraits sur Internet dans ce que j'espère être le plus beau site d'éditeur.

Je vous souhaite une bonne retraite quoiqu'elle ait déjà commencé.

Thierry Zalic

interview de Thierry Zalic par Bernard Pivot (in SLIP)