Le Jardin Des Sublimes_________________
Chronique de Thierry Zalic
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LES SUBLIMES
DU N°4

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COSMÉTIQUES

"Le teint Ricci" de Nina Ricci

gamme complète de produits créés avec le laboratoire Sanofi, dessinés par Élidsabeth Garouste et Mattia Bonetti

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CINÉMA

Le pas suspendu de la cigogne de Théo Angelopoulos

Sublime d’Or

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MUSIQUE

Côté pile

Carmen de Bizet et Pelléas et Mélisande de Debussy, dirigés par Claudio Abaddo

(Deutsche Grammophon)

Samson François, œuvres pour piano de Debussy (EMI)

Côté face,

Stan Getz, Kenny Barron People Time, Gitanes Jazz 182 F (2 CD)

Sublime d’Or

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LITTÉRATURE ET LIVRES D’ART

La passe imaginaire de Grisélidis Réal,

Sublime d’Or

Roger Vivier par Pierre Provoyeur
(Ed. du Regard) (570 F)

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RESTAURANTS

“La Côte Saint Jacques

89300 Joigny

Jean et Michel Lorrain

Menus 260 F, midi en semaine, 580 et carte, plus un menu peu cher "initiation à la gourmadise" pour enfants.

Chambres à partir de 690 F et suites au bord de l'Yonne à partir de 1050 F

Sublime d’Or

“La Côte d’Or” de Bernard Loiseau,

Menu 390 F le midi, 690 F et carte

Excellents vins de Denis Boussey 21190 Meursault dont un Monthélie 1er cru "Champs Fulliots" à 72 F

Sublime d’Or

21210 Saulieu Tel: 80 64 07 66

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LIVRE CUISINE

"L'envolée des Saveurs" de Bernard Loiseau

Hachette/Michel Lafon

238 F

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FLEURISTE

"Au nom de la Rose" Dany 4 rue de Tournon 75006 Paris



Côté pile, côté face. La vie est la pièce qui roule sur la tranche. C’est dans ce vacillement que naît le désir et dans le rire que l’on y survit. Le sourire d’une femme aimée qui s’éteint devient un couperet qui tombe. On attend que ce visage fermé s’illumine de nouveau et toute la vie se réduit à regarder la ligne de ses lèvres. Ce temps est celui où la pièce roule sur la tranche.
C'est l’été, les femmes se bronzent sur la plage, côté pile, côté face. Les stries des maillots sont des vitraux de cathédrale. Sous les gorges, on entend des tumultes sourds d’émois pendant que les regards faussement vagues des hommes cherchent où poser leur idée fixe. L’indécis se joint alors au précis, comme dans les œuvres de Debussy.
D’où me vient cette fulgurance intellectuelle? Ah voilà! Une femme a allumé une petite radio d’où sort l’œuvre pour piano de Debussy, par Samson François.

Sur la plage, j’ai le sentiment d’une révélation. Je regarde la femme et songe que j’ai passé trente-sept ans à ne pas l’aimer quand tout à coup, je l’aime. Debussy? La femme? Je la regarde. La froideur de son visage, qui va bien à Debussy, est l’antithèse de la chaleur de ses fesses, qui va bien à mon émotion. Ah! me dis-je, décidément c’est toujours côté pile et côté face.

Claudio Abaddo est le seul qui réussisse à joindre ces deux pôles opposés. Il sait donner de la rigueur à la chair, de la matière à la baguette, autant dans la Carmen interprétée par la Berganza que dans le Pelléas et Mélisande de Debussy qui paraît.

Je regarde autour de moi les futiles héroïnes des plages et les redécouvre en divas d’opéras. Une timide Mélisande s’écrit “Ne me touchez pas où je me jette à l’eau” (Pelléas acte 1 scène1) et une Carmen gronde “si je t’aime prends garde à toi”. (Carmen Acte 1 scène 4)
La Carmen des plages s’approche de la Mélisande, lui promet une gifle si elle ne fait pas taire son Debussy et la pauvrette s’exécute.

J'ai bouté une belle hors de son transat pour la mener chez des princes de la langue.
-Ah? Des hommes qui parlent bien?
-Mais non la sotte! Des presque dieux qui font la cuisine! Tu vas voir, tu vas jouir!
Elle accepta de m'accompagner bien que sceptique sur le fait de ne jubiler que par le contact d'un mets sur la langue, sa bouche étant plus prompte à se laisser caresser par un rouge à lèvres, ou quelques baisers.
Se préparant, elle jeta dans son sac les somptueux petits galets de la gamme "le teint Ricci", dessinée par Elisabeth Garouste et Mattia Bonetti, ainsi que le magnifique livre de Pierre Provoyeur sur les chaussures de Roger Vivier. Les talons de ces œuvres d'art sont des formes d'oiseau perché, parfois des éléphants bengalis harnachés, un talon est pied de chèvre, un galbe de jambes finit en mosaïque de fleurs ou en colibri naturalisé. Le pied n'est plus une réalité mais un mets d'offrande se muant en sacrifice sacré si, par mégarde, une douleur apparaît sous le joug d'un cuir trop neuf.

Légèreté de femme que de s'embrasser d'un livre si lourd! Pour ma part, j'emporte "la passe imaginaire" de Grisélidis Réal, prostituée suisse qui milite pour la cause de femmes, mais pardonnant beaucoup aux hommes. "C'est la faiblesse des hommes qui les mènent à agir mal", dit-elle.
Lucide et respectueuse de ce qu'est l'homme, même le pire; elle se présente en robe de chambre un peu flétrie par les caresses des Turcs au sourire ravi derrière leurs grandes moustaches. Avec seulement deux doigts de leurs poursuites mains, ils l'étrangleraient comme une mouche!

La voiture nous entraîne. On écoute People Time, de Stan Getz mort depuis peu le 06 juin 1991. Il abandonna les dernières notes de son saxo dans cet album, enregistré au Danemark. People Time… le temps des gens, le temps non hâtif des silences et des rencontres où des bouches approchent d'autres bouches pour parler mais ne s'arrêtent pas et finissent dans un baiser. Kenny Barron l'accompagne, mange son pain avec, selon l'étymologie. Alors le rideau tombe sur cette dernière scène avec, en hommage, la clameur étouffée de notre admiration, car à la perfection ne saurait répondre le maigre clapotis de nos mains.
À l'instar des enterrements de campagne, l'oubli de la tristesse doit se faire dans des grands banquets.
Enfin la Côte Saint-Jacques, royaume de la famille Lorrain.
Pour ne pas paraître rat, déjà que je la privais de plage, je pris une des plus belles suites qui donnent sur l'Yonne. Toutes sont décorées différemment. La 32 possède une somptueuse salle de bains sous une véranda, la 34 , entièrement vitrée, donne sur le fleuve, une autre invente un château par sa cheminée géante et murs aux pierres brutes.
Une douche à six jets nous reposa du voyage.
Ce goût hollywoodien ravit la belle qui me crut un court moment un prince. Je ne la démentis pas, me délectant de ses moues d'extase au fil des plats d'un repas parfait. Elle tiqua au boudin noir, mais quand sa langue toucha au mets, son corps entier, sans bouger, se roulait déjà dans l'auge d'une ferme tant étaient jubilatoires ces retrouvailles avec nos racines.
-Parle pour toi!
Le léger courroux passa sous le parfum magnifié d'huîtres arcachonnaises en petite terrine océane. Elle dégustait chaque bouchée, les yeux à demi-fermés. L'avais-je déjà fait jouir comme ça? Ah! Que l'homme est petit face à l'ambroisie des dieux!
Encore un pageot rôti du Sud, puis un croquant aux pommes et jus de coings… Elle me dit "merci" et j'avançais les lèvres pour quérir les mérites du cuisinier.

Côté pile, côté face… Sur le retour, passage chez Bernard Loiseau. Ah! point d'intelligence chez cet homme, non qu'il soit idiot et loin de là! Mais il a les papilles chevillées au cerveau, ses armes sont le nez et la canine…
Peut-être le plus beau repas de ma vie, et pourtant la concurrence est rude. Son menu à huit plats allait de perfection en perfection, foie gras chaud aux pommes à la sauce acidulée de pommes verte, sandre rôti à la fondue d'échalotes jusqu'au sablé puis feuilleté de glace au pollen et au miel…
Quelle que soit l'addition, au ressort de chez Loiseau en le remerciant de son offrande, le plaisir qu'il donne n'est même pas monnayable.
-J'ai le ventre un peu rond, susurra la mijaurée.
-Tu es enceinte? De moi? Des Lorain? Le père et le fils? De Loiseau? C'est ça, c'est de Loiseau! Je vois que tu as déjà une plume qui te pousse dans le derrière!
Elle s'était endormie. Une femme qui dort est aussi belle qu'un enfant!

Les Lorrain et Bernard Loiseau
De retour à Paris, pour me faire pardonner d'avoir priver ma belle de plage, même si sa bouche avait pris plein de soleil, je commandais cent et une roses dans sa boutique "Au nom de la Rose" de l'ex-chanteuse Dany, espérant que ma douce se pique avec une épine pour avoir le plaisir confus de lui embrasser le doigt sans paraître trop romantique. Car on a sa pudeur tout de même…