Maman était venue dans l’hôtel de Neuilly pour voir Thierry car elle n’a pas de satellite pour reçevoir ABC .

- Je ne suis pas sure que ce soit une bonne idée, ai-je dit.
- Mais si ma chérie, je t’amène- rai des roses. Les miennes sont en avance sur celles de ton jardin.

Elle a regardé Thierry avec de gros yeux. Puis Rachel nous a servi un thé, un Darjeeling je crois. Folle. Pauvre. Muette de moi. Qu’avais-je à m’expliquer de ce qu’elle avait vu et pourquoi lui ai-je lu Barthes? Je ne voulais pas qu’elle puisse croire que j’avais failli mourir à cause de ce qu’elle avait vu, mais de là à lire Barthes! Lui expliquer Thierry avec Barthes, à elle qui n’était pas une intellectuelle, c’était comme vouloir éplucher une carotte avec un presse-citron! Pourtant seul Barthes expliquait aussi bien ce qu’était accepter de prendre le risque éperdu du nom propre. Carotte et presse-citron! Pourquoi, parfois, parle-t-on exactement là où l’autre ne peux pas vous entendre? J’ai été chercher le texte de la leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, petit texte mais gros presse-citron, l’ai ouvert à la page 2O et ai bien appuyé chaque mot pour lui montrer que ce qu’elle venait de voir à la télévision, c’était écrit là, exprimer que ce qu’elle avait vu C’ÉTAIT VRAI PUISQU-ÉCRIT, DONC QUE ÇA AVAIT RAISON D’ÊTRE!


Plus j’avançais dans ma lecture et plus s’inscrivait une autre phrase dans les yeux de maman, ANGÉLIQUE SE REFUSE A CROIRE QU’ELLE PUISSE AIMER CA, ELLE A BESOIN DE CON-VAINCRE LES AUTRES DE SA RAISON, je voyais cette phrase dans son regard, en surtitre, mais néanmoins j’ai été jusqu’au bout de Barthes:
“ Selon le discours de la science, ou selon un certain discours de science, le savoir est un énoncé; dans l’écriture, il est une énonciation. L’énoncé, objet ordinaire de la linguistique, est donné comme le produit d’une absence de l’énonciateur.
L’énonciation, elle, en exposant la place et l’énergie du sujet, voire son manque (qui n’est pas son absence), vise le réel même du langage; elle reconnaît que le langage est un immense halo d’implications, d’effets, de retentissements, de tours, de retours, de redans; elle assume de faire entendre un sujet à la fois insistant et irrepérable, inconnu et cependant reconnu selon une inquiétante familiarité: les mots ne sont plus conçus, illusoirement comme de simples instruments, ils sont lancés comme des projections, des explosions, des vibrations, des machineries, des saveurs: l’écriture fait du savoir une fête.” Et puis plus loin maman, page 35, Barthes ajoute “Quelqu’un en qui s’est débattue, toute sa vie, pour le meilleur et pour le pire, cette diablerie, le langage, ne peut qu’être fasciné par les formes de son vide, qui est tout le contraire de son creux.” J’ai dit tout ça à maman jusqu’au point final, qui n’expliquait rien MAIS EST-CE MA FAUTE À MOI, MAMAN, SI SAVOIR ET SAVEUR ONT EN LATIN LA MÊME ÉTYMOLOGIE?

Ma mère est partie en me disant de prendre bien soin de mes roses. Je n’aurais pas voulu qu’elle partît. Qu’elle ne le voit pas non plus, mais elle était venue.

J’ai pris et serré la main de Rachel qui m’a dit qu’en effet, ce texte de Barthes était le mieux approprié.
- Approprié à quoi?
- A lui.
On s’est mise à rire. Bruce raccompagnait maman et n’était pas là mais Rachel s’amusait à le parodier en disant que oui Thierry était Zen, que sa forme de discours était exactement celle du “satori” zen, ce vacillement qui entraîne la perte de sens. Je lui répondais - oui Bruce! allez Rachel, fais-moi Kant maintenant et Rachel se mettait une barbe postiche avant de dire “La vérité ne peut, pour lui, n’être que dans le Rien et les mots ne sont que les prolégomènes amoureux qui caressent le tour du trou pour qu’il se dilate mieux”, on riait de ce Kant visité par Dali - et la cuisinière, que dit-elle? Rachel alla chercher un tablier dans la cuisine, et la main saisissant une cuillère à sauce professa “les mots sont des oignons dont il retire des pellicules sonores”.
Autant de phrases que j’avais dites un jour, comme quoi l’intelligence et le ridicule sont voisines très proches, presse-citron et carottes râpées.

- Avec TRACES, vous vous dévoilez, vous montrez que dans la réalité tout n’est pas parfait, qu’il ne peut y avoir 36 chefs d’oeuvre par pellicule même si elle en contient 37. Pourquoi cette entreprise de démythification? Est-ce parce votre épouse a commis cette tentative de suicide?
Z’ai bu. Oui, zébu. Oh qu’il est occidental ce nippon avec sa question! pas la peine de battre de l’aile d’avion pour trouver ailleurs le même, il doit porter à gauche et conduire à droite.
- Êtes-vous vraiment un autochtone? lui demande-je malgré l’évidence de ses yeux bridés et de son petit zizi.
- Oui, répond le japonais, mais j’ai fait mes études à Harvard.
- JE NE VIENS PAS A OSAKA POUR RENCONTRER UN FAUX JAPONAIS! hurle-je. UN AUTRE!
Un nouveau journaliste s’approche.
- Je réitère question confrère mais dans un sens physique métaphysique pataphysique hyperbo-lique jardin zen et ketchup panpan ouah ouah, non céleri soja pas rémoulade et tortues d’eau dans nénuphar, informatisé bien sûr, avec diodes électrolumines centes mais on se prosterne à quatre pattes, moi je préfère le saké au thé et vous?
- Ah, enfin une question censée! Et bien je vais vous répondre, et pas un oeuf cette fois.
- Merci de bien vouloir. Une autre question peut-être?
- Mais non, ce sont toutes les mêmes, je vous Sally Mara, celle-ci fera l’affaire. Démythification, non! édification d’un nouveau mythe, non! me montrer avec une mitre, non! n’être plus un chef mais un mitron, oui! Il est vrai que j’ai failli comme il est vrai qu’actuellement 37 poses 37 chiés d’oeuvres mais en ce temps ancien pas toujours. Ce qu’il y a d’embétant dans le chié d’oeuvre, c’est qu’on ne montre que soi, que ses viscères oui, la vie est chère oui, c’est un mystère non, il l’a mis en terre non il a le vit en l’air oui, (avec le journaliste on se frappe dans les mains à chaque phrase, une fois ma main droite sur sa main droite, une fois sa main gauche sur ma main gauche), on ne montre que sa vision mythique oui, les femmes mystiques non! les femmes mous-tiques oui! élastiques oui oui! si on ne montre que sa vision des êtres oui oui! des lieux oui oui! des radis non non! du paradis oh oui! de l’organdi oui oui oui et pan pan sur le tutu, OUAH!
- hihihihihihihihihi, rit le petit journaliste comblé.

- Pour plaisanter, car on est trop sérieux, j’ajouterai que le souvenir, c’est la réalité du personnage, sa raie alité à laquelle on se raccroche et qui n’est pas la réalité. Alors on dépouille la photo-souvenir comme on le ferait d’un lapin oui, on interroge la résitance des Lapons oui, on dit des stances pour des savons oui, (le journaliste à recommencé à jouer) si on dit pardon à Cromagnon non! c’est la faille qui compte oui! LA FAILLE! tu dérailles petit homme zen, on s’est trompé de main, oh on s’est trompé de main, tout ça pour dire que la faille c’est parce qu’un jour on s’est trouvé trop grand et qu’on a mis ses grosses fesses sur le visage de l’aimée et qu’aujourd’hui, en expo sant ces photos ratées on se retrouve face à la tête de sa belle qui resurgit oui de sous nos fesses oui et voilà pourquoi panpan sur le tutu, pourquoi nos mains se réunissent frère, et moi aussi je préfère le saké au thé.
- Un dieu nu, qu’est-ce? demande le faux nippon de Harvard.
- Un dieu qui a enlevé son pagne lui réponds-je du tac au tac, patatrac, tout de go, sait-il jouer au go ce faux nippon sans nichon?
- Non, dit-il.
Ah mes aïeux!
Le vrai nippon enchaîne:
- Donc kamasoutra enlevé par boa et le constrictor qui le dévore? Faire pipi sur la carpette, langer, talc sur panpan cul cul, ah non panpan tutu, me goure mais difficulté syntaxique, phonétique, harmonique, et Tristan et Yseult dans tout ça?
- Vous êtes censé à mort. Ca fait enfin plaisir de trouver un journaliste compétent. Je vous réponds simplement, comme à un ami L’AMOUR, C’EST CE QUI RATE PAR RAPPORT A CE QU’ON VEUT. Il naît de là, et meurt là oui! Ainsi ces photographies de la série TRACES, par leur ratage, sont un témoigne d’amour oui.
Ai topé une dernière fois dans la main du journaliste et ai planté toute l’équipe même Florence, pour partir faire une virée avec ce vrai nippon tandis que Ange et Rachel, à Paris, devaient écarquiller les yeux, que tout les États-Unis écarquillaient les yeux et que certains constipés écarquillaient les fesses.