C'EST DANS
LE NOIR
QUE SE RECONNAIT
L'ANARCHISTE
Ange, demi-calmée depuis son Fémina, se vautrait maintenant dans des interrogations quant à montrer son corps ou pas, disait bêtement être trop petite face aux mannequins géants, ces girafes à peines fessues mangeuses de yoghourts à 0 % de matière grasse quand elle, à 20%, mais Pierre C., royal, lui rétorqua que personne ne songerait jamais à mesurer la taille d’une madone peinte par Titien ou Léonard de Vinci. La beauté ne se mesure pas. Ange se sentait malhabile recouverte de vêtements étrangers, pourtant elle glissait, aérienne sur la piste, tout sourire, toute étoffe envolée sur ses jambes, fines et pleines à la fois, jusqu’au bombé de la naissance des fesses.


- Tu me crois à l’aise, mon amour, mais c’est une illusion. “Mon corps pleure mais ma bouche rit”, cita-t-elle Boby Lapointe, pour mon plus grand plaisir.
L’apercevoir ainsi, duelle, écartelée entre une pensée et une action, me rappela une scène des premiers jours de notre intimité où un après-midi, dans ma chambre, elle décréta qu’elle aimait être nue sous sa robe chez elle, et que maintenant elle était chez moi mais que c’était aussi chez elle. Ses yeux, un peu comme aujourd’hui, étaient entre deux eaux, entre chien et loup.

- Qu’est-ce qui t’empêche de te déshabiller, lui avais-je alors demandé.

- C’est le fait que tu es voyeur, que tu m’as dit que tu aimais bien regarder, que tu ne voulais pas que j’aille me changer dans la pièce à côté. Je n’aime pas qu’on me regarde, je n’aime pas qu’on fasse l’amour. Ça a été une erreur. Je trouve ça dégoûtant tous ces gens qui veulent donner du plaisir à l’autre. On est assez grand pour s’en donner soi-même et si on use du corps d’autrui, que ce soit comme une masturbation, qu’il soit votre godemichet, qu’on n’ait rien à faire de lui, chacun pour soi et la jouissance viendra, on sera encore plus libre de ne rien devoir à l’autre et de tout se devoir à soi. Tout ça pour te dire que je ne sais comment enlever mes sous-vêtements.
Elle était assise sur le même lit que moi. Sans le quitter, elle fit glisser la fermeture de sa robe noire pour dégager le haut de son corps, la laissant tomber jusqu’aux fesses. Son soutien-gorge était blanc sur son corps blanc, ses bras laiteux, son ventre laiteux et le nombril plissait un peu, tout juste enfoncé dans la marée blanche. Elle dégrafa le soutien-gorge par-derrière, le laissant un peu ballant, libre quand elle se penchait. Elle remonta la robe juste au-dessus des seins, enleva le soutien-gorge puis se pencha pour le poser sur la table de nuit. Se faisant, elle dégagea maladroitement ses seins, absurde de faire comme si je ne les avais jamais vus et me les montrant, la robe glissait et elle la remontait, puis elle se releva, le soutien-gorge posé. Renfila la robe et me dit “puisque tu es là, remonte ma fermeture à glissière. Sa robe flottait le long d’elle, je la poussais un peu, l’écartais d’elle pour voir ses seins par l’échancrure large du dos “Que fais-tu” demanda-t-elle, “je ra-juste ta robe c’est tout”. Un doigt vite a glissé le long d’un sein, si vite qu’elle n’a pu rien dire, frémir très, mais c’était déjà fini, qu’objecter, je remontai sa fermeture.
Elle maintenant voulait enlever son slip sans que je voie, face à moi, agenouillée sur le lit, remontait bien la robe noire sur le ventre, prit à pleines mains son slip blanc, les bébés appellent ça “à bras”, le descendit, montra ses poils blond-châtain, rabaissa sa robe, descendit le slip, remonta bien sa robe et la coinça de ses avant-bras pendant que le slip descendait, rabaissa la robe, se retourna, “ne regarde pas, dit-elle, ce n’est pas pour les enfants”, finit d’abaisser en bas des cuisses le slip blanc, remonta encore la robe sur maintenant ses fesses, coinça bien la robe dessus, agenouillée à 5O centimètres de moi, me montrait franchement son cul.
Puis s’assit sur le lit pour dégager la culotte des mollets. Maintenant face à moi, la dégagea en remontant encore sa robe, son sexe ouvert était devant moi. La robe remontée, elle écarta plus les jambes et les referma, maintenant libérée des dessous.
“Ne me touche pas, dit-elle, ou je te haïrai, ne t’occupe pas de moi”. Elle s’agenouilla par terre, plus loin, se mit de dos par rapport à moi, dégagea ses fesses et son sexe et commença à se caresser en criant, ses reins ondulaient vite par soubresauts multiples, une main entre ses jambes jouait du piano, de l’orgue tout en rythme staccato, elle haleta puis roula sur le sol comme dans l’épilepsie, pendant qu’un bras frappait sur le sol pour demander grâce comme font les sportifs au judo quand ils ont le dessous et veulent se dégager de leur adversaire.


Plus tard j’avais essayé de lui rappeler cette scène mais elle disait que ce n’était pas vrai, que je l’avais inventée, que je devrais avoir honte d’écrire si mal des pages avec seulement trois mots, slip, robe et fesses, et je lui avais répondu qu’en effet je l’avais relatée avec trois mots, les mêmes trois mots qui composent “Je t’aime”.

Je ne sais pourquoi j’ai accepté les défilés de Pierre C. On ne devrait jamais faire ce qui vous déplaît, ça se termine toujours mal. Accepter de poser pour Thierry oui, de défiler pour lui, mais pour un autre ça n’a pas de sens même s’il me l’a demandé gentiment.
Je ne sais pas si j’aime montrer mon corps ou si j’en ai de la répulsion, sans doute les deux mêlés. Deux souvenirs contradictoires me reviennent. Dans le premier, j’étais petite fille, devais avoir quatre ou cinq ans et me trouvais en vacance chez une grande tante. Des garçons s’y trouvaient aussi et nous nous interrogions tous sur comment était le sexe de l’autre. On le savait sans doute mais on s’interrogeait, la connaissance n’empêche pas les interrogations. Je me trouvais dans un grenier avec un des garçons qui demanda à voir mon sexe et je lui échangeai cette promesse contre le fait de voir le sien. Il voulut que je commence mais je lui dis “toi en premier”. Il se déshabilla puis quand ce fut mon tour je ne fis rien, je ne voulais plus. Avais-je pensé le faire réellement, je ne sais plus. Le garçon, mortifié de me voir si peu honnête, me dit que de toute façon, il savait comment c’était fait. Je lui ai répondu que je ne croyais pas. Alors il m’expliqua que le sexe des filles avait une forme d’abricot fendu. Il employa ces mots là et je crus vraiment qu’il savait (après j’ai su que ce n‘était pas vrai) mais je suis restée sur ma position intransigeante. Le second souvenir est beaucoup plus tardif. J’avais déjà 18 ans et étais faite comme aujourd’hui. Mon corps n’a guère changé, à peine plus rond. Un week-end chez des amis, tôt le matin, j’eus envie de faire pipi. Les seules toilettes étaient dans la salle de bains. Le maître de maison s’y trouvait déjà quand je rentrai. La porte n’était pas fermée. L’homme, de plus de cinquante ans, (je ne sais pourquoi je précise ça?), se rasait. Je lui expliquai que j’avais besoin des toilettes une minute, que c’était pressé et il me dit: “si c’est pressé, tu n’as qu’à faire devant moi.” Bien sûr je refusai mais il ne me laissait pas le choix, me disait d’aller dans la nature mais il faisait encore nuit noire. Je ne portais qu’un peignoir. “Je peux très bien faire et que vous ne voyez rien”, lui ai-je dit.”

“Bien sûr”. Je me suis approchée des toilettes, me tournai face à lui car il fallait bien que je sois dos aux toilettes pour m’asseoir dessus et commençai à relever le peignoir juste un peu pour m’accroupir. Mais là, je ne sais ce qu’il m’a pris, j’ai tout relevé jusqu’au ventre, pour qu’il voit bien mes cuisses et mon sexe et mes poils, suis restée debout puis me suis assise, écartant complètement les pans du peignoir pour qu’il voit même mes seins dont les pointes se dressaient. J’étais terrorisée et jouissais, terrorisée qu’il me voit jouir ainsi à me montrer. Il ne s’est rien passé d’autre. Je suis partie, et on n’en a jamais reparlé.

Que s’était-il passé ces deux fois là?
Je crois que toujours la femme a peur de la réaction de l’homme quand il voit son sexe car on ne sait pas s’il est désirable en soi ou abomination. Existe-t-il vraiment ou est-il sexe masculin castré, on ne peut se défaire complètement de cette errance interrogative d’enfant, aussi de savoir quel est notre désir, s’il s’agit d’être aimée ou de s’autoriser aussi à jouir sans ça. Plus tard des mots de Baudelaire m’ont choquée parce qu’ils touchaient à mon propre questionnement:

“La femme a faim et elle veut manger.
Soif et elle veut boire.
Elle est en rut et elle veut être foutue.
Le beau mérite!
La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable.”
C’est sans doute pourquoi j’ai si facilement accepté la robe de mariée de Thierry qui me laissait voir le sexe. Ce qu’il montrait à voir était une interrogation universelle, j’étais une femme universelle, l’objet de toutes les interrogations des couples, le lieu pour lequel on se marie, le temple qu’on pénétrera, si fragile, presque de papier, tissu d’un tulle qui pouvait être déchiré, un presque hymen. Il aurait dû me faire l’amour avec la robe et le transpercer, j’y ai pensé que ne l’ai-je dit, que n’y a-t-il pensé, ai-je jamais été si rayonnante intérieurement même si sa folie médiatique me séparait de lui, créait des barrières, que j’en étais séparée comme par un cordon de CRS. Je tendais la main, on s’étreignait par-dessus des barricades, n’importe qui, dans la meute de la foule aurait pu par mégarde transpercer ce tulle que ça aurait été pareil!

Aujourd’hui, mannequin de Cardin, la jouissance est exclue, ce n’est pas que les robes soient transparentes ou non, que l’on me voit ou pas n’a pas d’importance on ne me voit pas, mais être là, fragmentaire au milieu des autres mannequins me dérange, quand en public j’ai appris à être aussi considérée comme femme savante, de parole et d’écrit.
Suis-je vraiment féministe? Mon discours un peu mais ma réalité en est tellement loin! Je n’arrive pas à être comme ces autres mannequins, mes soeurs dans l’instant, à rire avec elles. Elles sont heureuses d’avoir été engagées et maintenant regardées, se trouvent là plus complète que jamais quand moi je ne suis rien. Être rien pour Thierry est un sacerdoce, la quintessence d’un certain délice certainement masochiste mais qui touche au point extrême de l’amour, celui d’être totalement “résidu”, d’être la partialité dont il jouit parce qu’il l’aime et qu’il y met son tout.
Lui, lacanien d’origine, m’a déjà expliqué qu’on ne jouit que d’un objet partiel et que l’on aime l’illusion de l’entier. Pourtant, jamais une explication ne recouvrira le champ de la réalité, ce champ de mines qui fait voler l’explication en éclat.

Dans mes cours sur l’étymologie, j’explique que le sens est ce qui nous sépare toujours de la réalité, qu’un nouveau sens nous éloigne encore plus que le précédent, que plus on approche du but et plus on s’en éloigne.
Je voudrais que mon amour m’aide, oh voeu absurde! c’est celui, sur terre, qui est le moins bien placé pour le faire.