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Mathias essuya dun revers de main son front qui saignait de sueur. Tout le tentait, autant les écrits de Palatine, ouverts à tous vents sur le bureau, qu'une irrésistible envie de fureter dans le cocon caché de sa garde-robe, d'y dénicher ses dessous, voir si elle osait en porter des pernicieux, plus minces que le voile de la pudeur, pour mieux la maudire ensuite. Ah elle était bien du genre à se vêtir dajourés, de sharnacher de porte-jarretelles, cette offrande de la féminité au désir salace, cette mise en place de la chair dans les vitrines des magasins, étals de boucherie ouverts aux yeux des passants!
Il s'emportait en rat pris au piège que les odeurs agréables, qui masquent le danger du poison, déjà titillent.
Pourquoi désirait-il tant voir ce qu'il réprouvait? Il éluda la question, sinon il ne sen sortirait pas, et la remplaça par une plus urgente, papiers ou vêtements? Que profaner dabord? Dans sa quête perverse et insensée, il reproduisait les schémas de léglise, partageant Palatine en un corps avec sa lingerie, et une tête par les écrits éparpillés. Tous deux étaient d'identiques tentations par lesquelles le péché pouvait survenir.
Paralysé, maintenant totalement transpirant, ahuri, il ne bougeait pas, déjà statue de sel, pétrifié en héros de lhistoire biblique de Sodome et Gomorrhe. Tendu, il n'osait bouger, le moindre geste risquait de le faire exploser. Il se sentait ce fil-de-fériste que nous sommes tous au bord du paroxysme de l'excitation, quand la tentation ultime est à son comble et quune goutte de plus serait de trop, faisant exploser la capsule et déborder la coupe, ensevelissant le désir et le tuant, les cendres, jaillis de lirruption, devenant vite inertes une fois retombées.
Mathias ne bougeait pas. Le risque le plus grand n'était-il pas qu'il ne découvrît rien, qu'il n'y eût rien à voir, que cette exubérance déraisonnable n'ait porté son péché qu'en lui-même et quil ne puisse trouver aucun prétexte sur lequel reporter sa faute?
Il alla s'asperger d'eau, afin dôter la couche de lucre sécrétée par sa sueur. Il avait honte d'avoir à lutter ainsi avec ses démons près de la petite fille qui dormait en toute innocence. Il se sentait piètre gardien de troupeau, loup mystificateur que l'on aurait pris pour le berger. Toujours les animaux!
Enfin il se mit en branle, céda au désir du corps avant celui de lesprit et se dirigea vers la chambre où était entreposée la garde-robe. Il sabandonna à commettre la faute, conscient que sabandonner était semprisonner, mais il alla. Dès que la décision fut prise, ou du moins accepté car il ne savait quel autre la lui soufflait, ses palpitations douloureuses jusque-là de tant saccroître, arrêtèrent leur ascension. Elles nauraient pas pu accélérer davantage, sous peine qu'il succombât. Elles s'apaisèrent comme celles du sportif ou de l'acteur qui sengage dans l'action.
Il nalluma quune lampe de chevet quil voila dun tulle orangé afin de ne pas réveiller Marie, et commença à fureter, faussement calme, rigidement calme, plongeant en premières noces dans le corps dune penderie emplie densembles pendus, et de chemises et corsages empilés dans plusieurs casiers Il défroissa dun doigt la frange dune piles de caracos comme lon tourne les pages dun livre, avant de lire, pour simprégner de lambiance, sentir la texture du papier, le poids du brochage, appréhender la densité du fil de lhistoire qui les lie, leur donnera sens et corps car sans cela ils ne seraient que feuillets disparates. Il tourna ainsi la rame des chemises, puis, la trouvant trop légère, trop petit opuscule face à son massif désir doutrage, il labandonna pour sorienter vers une matière plus corpulente. Appendus à leur tringle dorée, les tailleurs, jupes, robes et pantalons savéraient des adversaires dun tout autre calibre. Il glissa un doigt tout au long de leur flanc, harpe géante de tissus. Il goûta cet autre poids, brassa ces étoffes à la présence plus dense, enfant se promenant dans une mystérieuse forêt interdite. il se gorgeait des fruits trouvés, baies, aubépines, genévriers... mais ces fruits ne sentaient pas assez fort et le laissèrent sur sa faim. Il sénerva, froissa, brassa. Lenivrement de lacte cédait à lirritation quand il s'aperçut qu'il ne pouvait prendre à défaut le bon goût presque aseptisé de Palatine.
Cette propreté trahissait son crime, il lui fallait du sale, du licencieux, de lintime dont il se serait emparé comme pièce à charge pour le procès futur. Son irritation saccrut. Il ne retrouvait pas létudiante dans ces étoffes dévitalisées. Sans l'animation du corps qui les remplissait, ce nétait plus que des cadavres morts. Il connaissait presque tous ces ensembles, mais à les voir pendants et vides, il constatait amèrement que ce n'était pas elle comme jadis il s'était refusé à reconnaître une aïeule morte sur son lit. Sans la vie, les traits déjà rigidifiés, ce n'était plus elle, plus celle en sa mémoire mais seulement un morceau de viande froide gisant, au rictus de cire, comme les étoffes pendues daujourdhui.
Il les brusqua de dépit et là, des effluves de parfum encore imprégnés dégagèrent leurs fragrances. Devant son sursaut, les vêtements sardoniquement sourirent. Il sursauta apeuré et retira sa main désormais embaumée. À lissue de cette ridicule bataille, une manche de veste resta froissée. Il en fut d'abord heureux, puis honteux. Que lui avait fait cette veste? C'est comme s'il avait tué un papillon innocent pour décharger la tension de sa propre petitesse. Il lui fallait se ressaisir et prendre garde. La jungle, faussement assoupie, vivait.
Il fit demi-tour, sapprêta à quitter la chambre, se traita de lâche. Lâche, celui qui ne cède pas au crime? Allez, il nallait pas finasser, se retourna et fit face. Il se banda pour la deuxième reprise et sentit alors affluer en lui une tension carnassière. Il jeta un coup doeil sur Marie qui, à lécart de ces grandes manoeuvres, continuait à dormir innocemment et mit le cap vers la strate plus intime des sous-vêtements. Aller de l'avant, toujours plus loin, boire le péché jusqu'à la lie. Senfoncer... sous... après les vêtements, les sous-vêtements, quoi de plus naturel! Il allait la "strip-teaser", lui faire violence, mais pour quelle raison en fait la violenter? Quavait-elle fait hormis de lui ouvrir son intérieur mais n'était-ce pas là le geste de trop, le geste honteux?
Il discerna non loin du lit, un meuble en merisier blond qui devait contenir les corps du délit. Ça sembrouillait... les corps du délit... des corps dans un lit... Découvrir les dessous allait être pire que les dessus, plus chauds, plus brûlants, plus près de la peau, les flammes passant dans les trous ajourés, à moins quils fussent sales mais il ne fallait pas exagérer... pas trop à la fois. Déjà à passer du dessus au-dessous, il se déperchait des cimes, longeait le tronc en descendant, s'enfonçait dans l'obscur, l'intime, le profond, dans cette moiteur sensuelle des mousses liées à la terre mouillée, dans lhumus qui est la trame même de la vie, jusquà rejoindre les racines.
Des mots... pourquoi tant de mots... pour ne pas passer à l'acte... pour retarder le geste... Il ne se reconnaissait plus, puis les mots lui glissèrent enfin de la tête aux doigts qui se mirent à parcourir le corps rebondi du meuble de merisier, tout du long, jusqu'à atteindre la poignée du premier tiroir. Ses doigts étaient chargés de la tension belliqueuse de le crocheter sans que ce fût nécessaire car le meuble céda aussitôt touché. Une légère pression et le tiroir glissa parfaitement sur ses rails, s'élargit jusqu'à son terme, sans heurt, arrêté par un minuscule loquet au terme de sa course pour quil ne chuta pas. Ah cette perfection empêchait Mathias de signer son crime par la moindre égratignure!
Dieu que cette façade lisse était irritante et quétait grande son envie dy laisser sa marque! La commode le narguait de sa juste rondeur bourgeoise ventrue, ni trop adipeuse ni trop plate, joli meuble sensuel qui possédait cette exacte opulence des aristocrates qui s'attachent à la qualité des matériaux employés et non à leur apparence clinquante.
Mathias se pencha sur ce si beau dedans ouvert et aperçut une cotonneuse vallée de moutonnements soyeux. Le foncé régnait sur l'ensemble avec surtout du noir qui rend plus frivole les dessous en leur conférant une certaine gravité mais aussi des violets, et des carmins foncés crépusculaires qui doivent cacher le crime de quelques gouttes de sang échappées des règles. Tout cet obscur tranchait sur les blancs, ivoires, chairs et beiges disséminés de rares roses, verts eau ou orangés qui sy disséminaient en fleurs vivantes qui ne cédaient ni à la nuit ni à la neige.
Le tiroir ouvert se mit à déclencher dans sa tête la musique dun piano mécanique sur lequel les phrases folles dun étudiant qui déclama un jour du Arthaud à LEscale se collèrent: entre le cul et la chemise, entre le foutre et linfra-mise, entre le membre et le faux bond, entre la membrane et la lame, entre la latte et le plafond, entre le sperme et lexplosion, entre larête et le limon, entre le cul et la main mise...
Un nouveau vertige le saisit. Il repoussa violemment le tiroir qui se tut, dans un ultime cri léger. Effrayé, Mathias vérifia que Marie dormait toujours, mais elle navait cure de ces tempêtes dans un verre deau. Le serveur avait-il rêvé? Pour sen assurer, il rouvrit le tiroir qui ne fit plus un bruit. Resté en suspend, choqué de ce fil jeté dinsanités, il ressentit le besoin de sen venger, rameuta sa tentation carnassière, et décida de lever ces dessous comme on lève le gibier. Il allait les débusquer et on verrait ce quon verrait, il les prendrait à pleine gueule et les jeterait, à droite, à gauche, à droite, à... Il y enfoncerait bien le croc des canines, éparpillerait les plumes, y plongerait le mufle et les lèvres, de façon goulue, en chien fou qui ne ramène plus mais dévore! Ce serait le réveil du loup sur le chien, il s'y enfouirait, les mâcherait, les brutaliserait.
Se calmer. Pourquoi cette rage? Contre Palatine qui en avait tant? À cause dune musique attisant des paroles cochonnes? Avançant la main il en toucha une mais osa à peine la déplier, se sentant bizarrement le prêtre qui déplie laube avant d'aller célébrer l'office.
Ses doigts coulèrent tout de même sous les voiles de soie, de baptiste et de percale perlée, se heurtèrent à ces douceurs sataniques dont le lisse se ponctuait de broderies plus rêches. Les doigts se coulaient dans la douceur avec autant de risques quau travers des épines de rosiers, puis les culottes résistèrent, prirent densités de cuisse et les bonnets des soutiens-gorge se gorgèrent de bustes; ça vivait. La main, passée dans ce brouillard épais, en réveillait les monstres. Il les embrassait, les agaçait, se laissait mordiller les doigts. Son esprit parti plus encore à la dérive, il imagina là non des culottes qui recouvraient la faille des femmes hérissée dherbes,noires, ocres ou rousses, touffue ou éparse, mais le contraste saisissant dun rigide sexe dhomme tendu sous ses infimes étoffes précieuses. Le contraste du fier bâton rutilant sous la transparente mousseline prenait forme sous ses yeux, sous ses doigts. Les veinures de plus en plus grossissantes de cette branchette se muant en tronc gonflaient et pouvaient à chaque instant faire céder le trop fin filament, la transpercer et montrer à vif cette rigidité brandie sous le regard, une fois explosé linfime paquetage ou sailli hors de ses minuscules limites.
Que lui arrivait-il? La main qui le retenait au-dessus de l'empire du mal l'avait-elle lâché? Pourquoi Dieu ne le retenait-il pas? À quoi servait-il sil ne le faisait?
Mathias transpirait.
Il essaya de se reprendre, remit de l'ordre dans les tiroirs et dans ses pensées. Il n'était pas lui-même, mais il était de plus en plus souvent comme cela, alors qui était-il? Il ne le savait plus.
Du merisier blond ne sortait plus aucun cri. Le tiroir, de nouveau fermé, lisse, ne laissait aucunement entrevoir qu'il avait pu être pénétré. |
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