C'est sous la jupe des femmes que
Marc Veyrat
puise ce qui, dans l'assiette, devient l'Ambroisie des dieux.
Je l'ai rencontré un jour de début de printemps pire que l'hiver, glacial. C'était le bon jour pour une rencontre. Il m'avait fait venir un jour de fermeture. J'arrivais dans la nuit qui tombait tôt, fourbu de la route sur des nationales gelées. Il me demanda si j'avais mangé. Je n'osais pas dire "non", du coup me retrouvais dans une chambre certes admirable, mais à grignoter, avec ma copine, quelques chips qui traînaient au fond d'un sac.
"C'est bon" lui dis-je, de jeûner de temps en temps. Dans ce métier de critique, on mange toujours trop. Comprenant ma philosophie, mon amie, moins professionnelle que moi, termina seule les trois derniers chips. On se partagea les deux salles de bains. À elle les bains à remous, moi j'ai horreur de ça, j'ai l'impression que des extraterrestres vont apparaître du dessous de la baignoire et m'entraîner dans des abysses… à moi la douche multijets qui vous revitalise un homme.
Dur comme la pierre et tendre comme l'herbe, ou plutôt faussement tendre car sur son fil on peut se couper.

Le lendemain, la rencontre commença. Voilà comment je découvris Marc Veyrat, dur comme la pierre et tendre comme l'herbe, ou plutôt faussement tendre car sur son fil on peut se couper.
Cette rencontre est une des plus fortes de ma vie de critique gastronomique. L'homme vous tourne autour, essaie de vous jauger… qui est-on… que veut-on lui voler… quelle mouche passe par là qui virevolte autour de l'âne de prix… puis il lit des articles déjà écrits par le critique… ou plutôt les fait lire à sa femme… "c'est qu'il est presque analphabète" sourit-il des yeux… et puis quand sa femme dit "banco, y'a du style sous la plume", il croit sa femme, l'homme n'est pas misogyne, il sait aimer femme et convives quand il les accepte… alors il s'ouvre… il ne se répand pas car il a le sang qui sait se tenir… il a de la fierté à revendre… il se laisse aller, ouvert et solide.
Le géant est cadenassé. Un hôtel, aussi beau soit-il, qui ne lui ressemble pas totalement, des investisseurs qui ont misé sur lui comme sur un pur-sang… ce qu'il est…pur-sang de Manigod, son village, près duquel il reconstitue une auberge paysanne, animaux en bas et convives en haut qui, par des baies vitrées au sol, regardent les animaux… il serait bon que ce soit aussi l'inverse… quand l'homme regarde le singe à travers des barreaux, le singe voit aussi l'homme en cage.
Je n'ai pas encore visité ce lieu, alors ce que j'en dis… revenons à l'Auberge de l'Eridan.

Voici l'heure de vérité. Dans l'assiette, on sent d'emblée le pur talent, la perfection telle que j'ai pu la connaître chez Loiseau ou Rollinger. L'homme n'est pas que le chapeau qu'il montre aux médias, le chapeau le protège car il est pudique.

C'est un renifleur, il a l'herbier dans les narines, la féminité dans les papilles.

C'est un renifleur, il a l'herbier dans les narines, la féminité dans les papilles. Sous le mâle viril se niche à la fois la femme et l'enfant. Quand on aime une cuisine, on a envie d'aimer le cuisinier, ils ne font qu'un.
Le Savoyard est une gangue brute dont les mains délivrent la pierre fine. Les mains tordent le torchon, écaillent le poisson, ses jambons sont ceux de son enfance, fumés dans la cheminée et tout goûteux de genièvre. Nulle part dans le restaurant l'odeur des bêtes ni celui, fort, de la séchée où l'on fabriquait le reblochon mais des raviolis (sans pâte) aux senteurs des Alpages, la salade de haricots de Soissons à la Truffe de Janvier, l'omble chevalier savoyard ou le Bar au jus de palourdes parfumé au Fnü, fenouil sauvage de la montagne.
La charlotte aux coings épouse le filet de chevreuil, ah mourir pour Veyrat n'est pas mourir mais l'apothéose d'une vie de chevreuil… c'est donner son corps à la science culinaire… c'est l'apothéose d'une vie qui a enfin un but… c'est aussi ce que pense pour l'agneau de Sisteron agrémenté au pimpiolet des Aravis.

C'est sous la jupe des femmes que Marc Veyrat puise ce qui, dans l'assiette, devient l'Ambroisie des dieux.

Ah… on jouit… on a plein la bouche le goût de la terre, de la truffe, des senteurs de sous-bois et des prairies, puis celui des cinq crèmes de lait battu à la découverte de la flore du lac… à croire que c'est sous la jupe des femmes que Marc Veyrat puise ce qui, dans l'assiette, devient l'Ambroisie des dieux.
Ah… le bonheur est là aussi simple qu'est forte l'addition, mais quand la papille exulte rien n'a plus de prix et surtout pas l'argent… c'est une petite mort que nous offre Veyrat ainsi que les surréalistes nommaient l'orgasme.
Veyrat est un très bon, il faut le dire et le redire… deuxième repas chez lui car le bougre m'a retenu… et le plaisir tient toujours même si l'estomac faibli… rate en chemise de choux au lard maigre et caviar, ah… mignon de porc de lait au sabayon de café, ah…
Il a de l'or dans les doigts. Les produits les plus simples se mêlent aux plus riches, il est de la terre et du ciel, le dernier de la classe jadis, chassé de tous les collèges, est aujourd'hui premier. Parcours biblique même si j'injurie par ce terme son grand-père anticlérical. Manger chez Veyrat, c'est autre chose que manger, marcher sur les eaux du lac d'Annecy qui baigne les pieds de l'hôtel peut-être… Longue vie à l'artiste!


Marc Veyrat

L'Auberge de l'Éridan
13 vieille route des Pensières 74000 Annecy
04 50 60 24 00
Fermé Lundi et mardi à déjeuner et du 30 octobre au 15 mars
carte 600 à 1000 francs
menus 395 à 995 francs hôtel
Auberge de l'Éridan de 1250 à 3650 francs
(191 à 556 euros)

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