Mazilu

Le déjoueur de codes.
Il est rare que j'écrive sur un artiste que je n'ai pas rencontré, mais voilà, un tableau entraperçu en passant devant la galerie Samagra, et le coup de foudre me saisit, mon pas déjà peu rapide s'interrompt tout à fait et je pénètre dans l'antre.
Un visage d'abord, puis la cohorte des suivants, presque identiques, m'interpellent.

Tristes mais sans tristesse, résignés mais sans résignation

Comment les définir? Ils sont tristes mais sans tristesse, résignés mais sans résignation. Ils descendent de Breughel, de Bosch, ont vécu la vie d'autres peintres réincarnés en Mazilu qui ne les copie pas, simplement des encres passées coulent dans son sang en direction d'un avenir.
Un avenir faussement statique car l'étrangeté s'insinue dans l'œuvre, sans étrangeté, cette peinture ne se laisse pas facilement saisir par des mots car chaque touche contient des sensations opposées, puissance dans l'immobilité, beauté dans la laideur, étrangeté dans le quotidien, quiétude quasi comblée dans le malheur.

Un Microcosmos breughélien.

Les chiens des tableaux de Mazilu ont la même tête que leur maître. Les proportions ne sont pas gardées à tel point que l'on se croirait dans une Cour des Miracles, évidemment sans miracle ni pauvreté.
On est dans l'ailleurs, un ailleurs déjà vécu et impossible, on est dans un monde souterrain où les gnomes ont tous le nez prognathe. On est dans la terre par les couleurs et la densité. Le ciel est absent. Vert bouteille, ocres, Sienne. Un footballeur a des prothèses et un vainqueur des jambes à peine plus longue qu'un nabot qui le suit, un œuf sur la tête.
Tout est normal dans ce Microcosmos breughélien post-surréaliste. La déchéance est passée par là. Seules quelques femmes réchappent de ce serein désastre, froides et chaudes, plus vivantes que celles de Delvaux auxquelles elles me font tout de même penser.
La chair est faible. Pourquoi Mazilu n'ose-t-il pas les déformer où les montrer telles qu'elles sont? Par elles, il retrouve l'illusoire, l'oiseau absent, la chimère, le rêve quotidien du branleur, le masturbateur, l'onaniste.

xx

La quête d'un idéal le ronge, l'acide d'une envie de parfait détériore sa plume ou son pinceau, il dévie vers le beau, la convoitise redresse les corps penchés. Faut-il le regretter? Non. Toute glace a deux reflets, celle du Maître et de l'esclave. De Maître et tortionnaire quand il peint des gnomes, il devient l'Esclave de la femme peinte trop belle.
Toutes ne sont pas magnifiées. Certaines sont aussi laides que les hommes, mais, le principe reste le même, d'une laideur inqualifiable comme telle.

Des Mémoires d'Outre-Tombe à venir demain.

Mazilu déjoue les codes. Il reste de la place entre paysannerie et animalité pour un Star Trek moyenâgeux (les gnomes ont les mêmes oreilles que le capitaine Spock). Les extra-terrestres souterrains ont pris la planète placidement. Ces hommes-là n'ont rien à raconter, ou pas plus à eux-mêmes qu'a leurs chiens si semblables.
Couvert de haillons, ils sont aussi des princes, qui sait si ces loques ne sont pas de la soie soigneusement fripée puisque même les défilés de Dior, cette saison, puisent dans la sape marginale.
Des marchands de perles restent attablés devant trois billes. Ils ont la fonction. Ils seraient de cire, ce serait pareil, mais ils sont de chair, ça se sent. En fait, ils sont en peinture, mais on l'oublie.
Mazilu nous fait traverser le miroir, on est extérieur à la toile improbable et pourtant dedans, on est tous dans cette attente terrienne que notre agitation vise à faire oublier.

Je parlais d'extra-terrestres, mais, en fait, ils seraient plutôt des intra-terrestres, un peuple du dessous, des presque taupes.
Si l'on prêtait à ces tableaux des principes du Yi-King, et à leurs personnages une personnalité féminine, on pourrait dire d'eux qu'ils feignent l'incapacité et la passivité; si on leur croit des velléités belliqueuses, on leur fera penser que "l'art suprême de la guerre, c'est soumettre l'ennemi sans combat". "Proche, faîtes croire que vous êtes loin, et loin, que vous êtes proche".
Pour continuer dans cette même veine, je vais vous raconter l'histoire de Mo Tun.
Il était une fois, dans la Chine ancienne, un peuple fort, les Hu de l’Est, qui convoitait le territoire de Mo Tun, leur faible voisin. Ces Hu, pour soi-disant parlementer, lui envoyèrent une délégation qui exigea un cheval précieux pour le prix ridicule de mille lis. Les ministres conseillèrent à Mo Tun de refuser, mais le roi accepta. Quelque temps après, les Hu revinrent et exigèrent une princesse de sang, la propre sœur de Mo Tun! Les conseillers se révoltèrent, mais le roi accepta. Plus tard, ils réapparurent et sollicitèrent plusieurs arpents de terre inemployée. Certains ministres, pour plaire à leur pusillanime monarque, lui conseillèrent d’accepter comme de coutume, d’autres l’incitaient toujours à refuser. Le roi s’emporta. "J’ai donné un cheval précieux, cédé ma propre sœur, mais comment donnerais-je le bien de l’état?" Et il fit décapiter les conseillers acquiesceurs.

L'art interne du contre-pied

Peu après, il lança une attaque surprise contre les Hu qui, méprisant sa faiblesse, ne l’attendaient pas et avaient depuis longtemps dépourvu leurs frontières de troupes. Mo Tun anéantit les Hu jusqu’au dernier.

Ainsi, les personnages de Mazilu, bien que silencieux, nous amènent à beaucoup parler. Toujours ces paradoxes, l'art interne du contre-pied.
Mazilu nous place dans un improbable temps gelé et vivant. Je m'y repose, captif devant la toile. Je pourrais passer des heures devant si j'avais le bonheur de posséder une de ses toiles à la maison, et deviendrais ainsi égal à ses personnages.
Mazilu a en commun avec les plus grands peintres d'incarner un rôle de passeur. Il peint des Mémoires d'Outre-Tombe à venir demain.

Mazilu
est né en Roumanie le 07 janvier 1951. Diplômé de l'institut des beaux-arts de Bucarest en 1974, il vit et travaille en France depuis 1982

Expositions Roumanie, France, Allemagne, USA...

Plusieurs bourses et prix.


G A L E R I E SAMAGRA

52 rue Jacob75006 Paris

Tel: 01 42 86 86 19

gallery.samagra@wanadoo.fr

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