photos: Robert Doisneau
Nastassjia Kinski

par Patrick Grainville

Un jour, j'ai laissé carte blanche à Patrick Grainville, baron de la lettre qui mouille, pour m'écrire un texte sur l'actrice qu'il trouvait la plus érotique.
Il a choisi la fille du démesuré Klaus.

C'est dans Harem je crois, ce film exotique et facile que Nastassjia Kinski a pour prénom Diane. Et cela lui va comme un gant. C'est son côté chasseresse qui m'a tout d'abord séduit, sa silhouette souple, l'onde de ses muscles.
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Louve à l'affut. Belle à mordre. Corps bandé comme un arc. Une iroquoise, belle rodeuse, une Amazone. Certains la jugeraient un peu androgynique, manquant de pulpe, de seins, de féminité tapageuse. L'anti Ornella Mutti.
Certes Nastassja Kinski n'est pas une luxuriante. Mais j'aime son corps qui s'élance. La ligne de son dos si long, l'animalité de ses reins. Il y a des femmes femmes, des vamps façon Adjani, un peu surfaites. Mais Nastassja Kinski est plus ambiguë, d'une trempe plus rare, plus primitive. Après tout, c'est la fille de Klaus Kinski, un beau monstre avec son visage fou de gargouille gothique, de pirate fanatique. Que Nastassja ait partie liée avec la piraterie, une certaine monstruosité paternelle et sacrée, me ravit. Flotte tout au fond d'elle le caractère fantastique de Klaus, son surréalisme noir, carnivore. Ce trait évite à Nastassja les mièvreries propres aux starlettes pimpantes mais sans presfige. Nastassja est forte. C'est une liane puissante. Une fille tout en essor, un vrai lasso de volupté.

Visage singulier, pommettes saillantes de poupée rituelle, de figurine hermaphrodite.

Regard insaisissable, un peu trouble, équivoque, jamais fixé sur vous, hanté par un pouce de fuite et de folie. Nastassja fascine. Elle hypnotise comme les sirènes. J'aime voir se profiler derrière une femme une filiation mythique ou littéraire. Toute notre vision du féminin est culturelle, habitée d'allusions, de légendes, d'obsessions secrètes. Diane est sirène, par cette autonomie de fille lisse et cambrée, administrant la mort avec une innocence toute animale. Me voici, au gré de mes fantasmes, entraîné vers des idées de course, de nage, de poursuite,de piège et de proie. Je vois Adjani en garce, en coquette capricieuse. je vois Nastassja plus naturellement monstrueuse, tout coule de source chez elle, force et fluidité du sang, muscles déliés, anatomie flexible et fulgurante. Ardente et glacée. Je me souviens d'un film fantastique où elle incarne un être hybride, mi-femme, mi-panthère. Le moment le plus spectaculaire est celui de la métamorphose. Soudain le corps noir et luisant du félin émerge des flans de la fille, grâce à un trucage superbe. Féline... Est-il vocable plus nerveux, plus retors. J'aime le musc de ce mot. Sa grâce et sa férocité.

Dans La Lune dans le Caniveau, elle me convainc moins. Trop star, trop de lamé, pas assez pure, pas assez fauve. Paris Texas la révèle assez proche du fantasme que j'ai d'elle.

Prostituée, enfantine, naïve et perverse.

Totalement ambiguë. Échappant à toute prise. Souvenez-vous de son dos nu dans l'échancrure du pull-over rouge. J'aime sa peau, le frisson de sa peau, sa violence, le serpent de sa peau, son charme de noeud coulant, de couleuvre d'amour. Une photo célèbre la représente allongée, nue, ondulante avec un boa couché sur son échine. Nous voilà en plein mythe. Elle ferait une belle empoisonneuse façon Thérèse Desqueyroux. Une meurtrière de charme. Le poignard lui va, le sacrifice. Sa bouche assez grande, très charnue possède un goût d'enfance et de sang. Bouche de la bacchante. Une fille de l'odyssée, des temps barbares. Mais faite aussi pour galoper dans un décor futuriste. Tour de verre. Manhattan. Adolescence totale, belliqueuse.

J'aime un peu de perfidie chez les filles, un peu de sorcellerie sournoise. La franchise m'ennuie, horreur des matrones, des opulentes mères. je préfère Nastassja entre lynx et licorne, anguille. Ce ne sont qu'images, antiques obsessions masculines. Bien sûr, Nastassja dans sa vérité, s'éloigne de ces chimères. Mais voici les désirs qu'elle m'inspire. je me souviens de l'avoir vue complètement nue dans un fort mauvais film: La Fille où elle jouait avec Mastroianni une histoire d'inceste très scabreuse. L'inceste lui sied, le sérail, le harem, la prostitution... l'interdit quoi! La part du mal, des ferveurs maudites, des malices qui nous cuisent. Dans Paris Texas, elle se prostitue mais de loin, elle ne se donne qu'à la vue. Chair interdite, corps dérobé. Ce côté clos m'enchante, d'Artémis au miroir, de grande fille fuyante et tabou.

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