Glamorama
Bret Easton Ellis
Certains disent que la critique est un art difficile. Ce n'est pas un art. Au mieux, un regard aigu de la part d'un homme avisé, au pire, un mâchouilllis de dépit de la part d'un écrivain plus ou moins raté. La critique est indispensable, comme la nourriture ou l'oxygène pour le corps, admettons là comme un mal nécessaire. Dans ses instants de grâce, elle peut être un repas somptueux, mais le nombre de grands cuisiniers est infime face aux tenanciers de mauvaises goguettes.
Je me souviens toujours de la parole de Truffaut, ancien critique de cinéma lui-même, qui disait que critique n'était pas un vrai métier car aucun enfant ne rêvait de l'être. Pompier, médecin, mécanicien oui… mais critique jamais.

Les critiques, donc, n'ont pas été très tendres avec le Glamorama de Bret Easton Ellis. Après le succès planétaire, et mérité, d'American Psycho, ils descendent en flèche le roman qui suit.
Il est difficile pour un auteur de trop trancher avec ses romans précédents, sous peine de perdre le public, ni d'être trop semblable, cas de figure tout de même moins grave.
Ellis va plus loin dans le non-sens et la dépersonnalisation des personnages que dans American Psycho, dans le premiers tiers de son roman. Cette mécanique presque sans sens est goûteuse, jouissive, hypnotique.


On sniffe le rail de l'écrivain en le remerciant d'être si peu américain.


On sniffe le rail de l'écrivain en le remerciant d'être si peu américain. Il ne cherche pas, comme ses congénères, le style simple et la narration, il jouit du mot, voire de la phrase en véritable européen, s'accroche aux pieds des Mallarmé ou Joyce revisités au XXI ème siècle.
Puis il me semble que cette belle mécanique, faussement vide, se gâte. Ellis se dit qu'il faut du rebondissement, de la tragédie, qu'il se doit de tisser une histoire… Pourquoi? J'ai alors l'impression que cette nouvelle complaisance gâte le propos, que cette descente aux enfers du héros voulant retrouver le Soi quand il était Tout, et rien, est presque vaine.
Ai-je raison? Rien n'est moins sûr. Comment savoir si le lecteur a plus raison que l'écrivain? Il faudrait que chaque livre soit accompagné d'un "making off", que son auteur explique le but qu'il poursuit, les voies de traverses dans lesquelles il s'engage, qu'elle est sa volonté ou ce qu'il peut ressentir comme ses insuffisances. Il y a autant à dire, sinon plus, à côté d'un livre, d'un film ou d'un tableau, que dans l'œuvre elle-même.

Les éditeurs ne lisent pas non plus, les journalistes non plus, les libraires rarement…


Les lecteurs n'ont pas toujours raison, et les critiques encore moins qui, généralement, ne lisent pas les ouvrages car il y en a trop, ils n'ont pas le temps. Les éditeurs ne lisent pas non plus, les journalistes non plus, les libraires rarement… tous ces professionnels de la profession (merci Godard) ne s'occupent que de la profession.
J'ai failli faire une vraie critique, après 18 pages de lecture puis, les vacances aidant, j'ai tout lu et suis devenu un lecteur lambda.
Ce livre, malgré mes réserves, est, avec American Psycho, un des livres importants de l'époque. Il témoigne comment l'apparence et la communication tuent l'apparence et la communication. À vouloir singer la mode, tous les singes deviennent interchangeables, camouflés sous l'écorce ou le teint jauni par la banane, qu'écorce ou banane s'appellent Gucci, Westwood, Ralph Lauren ou Estée Lauder. L'obsession du carnet d'adresse creuse un vide d'être, un vide pas plus vide que ceux qui sont sans attache, sans amis et sans garde-robe, mais pas moins.


Denise Glaser prise par plusieurs martiens branchés au 380 et un jupitérien lui soufflant de la coc...


Qu'est-ce qui est vrai? Qu'est-ce qui est toc? Ces deux phrases, sans réponse, remplacent le "qui est in" et "qui est out" de Gainsbourg.
Glamorama est la planète qui tourne folle mais tourne-t-elle plus folle que quand on inventa la roue ou quand Galilée décréta que la Terre tournait autour du soleil? Glamorama fuit en avant, il suit une ligne de folie exponentielle qui donne le vertige dans ses grands moments, et baisse de régime quand l'auteur se rattache à une pseudo raison. Glamorama est l'anti Discorama de notre feue Denise Glaser, ou une Denise dopée, au rythme accéléré, prise par plusieurs martiens branchés au 380 et un jupitérien lui soufflant de la coc dans les narines pendant que le régisseur l'habille de Calvin Klein et lui donne un sac Prada.
Ah… Denise… tu as raté ce tournant de siècle!

Glamorama est édité chez Robert Laffont dans la collection Pavillons, 537 pages, 149 francs.

Bret Easton Ellis, par Ian Gittler

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