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Toutes les trois tenaient des bouquets de fleurs, la première des Orabanchacae, grandes jacinthes dont la hampe, à floraison, se couvre de fleurs jaunes, la médiane des Iridaceae, glaïeuls du Natal jaune brun ou orangé, et Egdi, la supérieure des Gladiolus Watsonioïdes aux fleurs rouge vif, les plus belles de toutes.Elle souriait. Quel beau sourire! Tout souriait, sa bouche, ses dents, ses pommettes. Ses cils souriaient sur ses yeux en forme détoiles de feuilles de Droséra. La tête dEgdi était celle dune magnifique plante carnivore, ses cils nétaient pas des cils mais de superbes tentacules fuchsia gluantes qui hérissaient ses dards autour dun calice vert. Ces cils rétractiles attendaient linsecte imprudent qui succomberait à léclat de la pupille, y plongerait son cou et glisserait sur lhuile de fausses larmes. Quil approchât et les tentacules se courberaient à toute vitesse, emprisonnant leur proie.
Senghor ferma les yeux pour se desserrer dEgdi, étage supérieur de ce triple étau.
- Viens nous happer, viens...
Il tenta dapprocher, mais saperçut quil était ligoté. Les sons avaient fait pousser les ramures, leurs doigts finissaient en lianes, leurs ongles en épines et il se retrouvait arraisonné par ces barbelés végétaux.
- Viens nous happer, viens...
Les barbelés le tirèrent contre le tronc, la bouche déjà frottait contre lhumus dun sexe et ses cheveux crépus cognaient contre deux seins doux, des dents il pourrait arracher la robe, des yeux pénétrer dans le ventre, mais il nétait pas dupe. Les trois déesses de lécorce ne désiraient pas que sa langue les fouille pour le plaisir du Nègre ou le leur, mais afin quelle restât collée au ruban de glu empoisonné qui coulait delles!
Larbre carnivore, plein de maléfices, était, nit ku ban, un mauvais génie, mais quil était difficile de résister!
Dangereuses par le haut, le milieu et le bas, les trois déesses de lécorce étaient à la fois soudées et libres, Gamopétales et Dialypétales.
- Ce nest rien, ce nest rien... regarde-nous, apprends à nous connaître, nous allons nous présenter une à une soufflèrent-elles.
Elles le repoussèrent de leurs bras-lianes afin quil les vit mieux.
Egtul, la médiane contre laquelle il venait dêtre flanqué, savança. Souple, si souple, elle le rapprocha une nouvelle fois et lenlaça. Il nétait quun jouet! La rosée rendait transparente sa robe qui collait à sa peau. Dessous, pointait la fraise mure des seins.
- Mange-moi, mange-moi, mange-moi... soufflait Egtul, déchire des dents mon voile de tulle. Tu as tout le corps ligoté mais pas entièrement les mains et pas du tout la bouche, tends-toi, prends-moi.
La robe ne cachait rien, il voyait un filet de chair rose derrière lourlet brun.
Les grossiers maléfices des déesses de lécorce ne le dupaient pas, pourtant, le désir le titillant, il alla de lavant dans lespoir que la doublure des épines serait de fourrure. Dans la passion, savoir que lon court à sa perte ninterrompt pas son destin; on tend les lèvres vers la ciguë tant elle sent bon, on se moque, dans un instant fatal, de ce que sera demain. Les plantes se faisaient femmes pour Senghor comme elles se seraient faites brebis pour le loup, gazelle ou antilope pour le lion. Elles leurraient pour sadapter, formes et couleurs sacclimataient à la sensibilité de leur hôte forcé. Pour labeille, qui ne connaît pas le rouge, elles inventaient des corolles ultraviolettes dont linsecte était friand, pour le colibri, elles créaient des pétales rouges, semblables à la tache de couleur située sur la gorge de leur femelle. Elles pouvaient sentir la rose où la matière fécale selon quelles cherchaient à attirer un oiseau floricole ou un charognard. Ainsi apparaissaient-elles en femmes, oh combien! face à Senghor.
Le Lamido réussit à dégager une de ses mains prisonnières, à moins que par ruse lune delles laie laissé faire car dun geste délicieusement malencontreux, il dégagea le tulle dEgtul et crut devenir fou tant une odeur pubescente de truffe, dont le berceau était le sexe, se leva et embauma. Larôme était si intense quil découpait une tonsure sur le pubis herbacé. La force de la truffe est si forte quelle tue lentourage; ce sublime musc terrien était lAttila de lintime prairie dEgtul. Il sapprocha, gourmet en manque prêt à déguster. Le vent de ses narines, en archet, caressait le mont presque dégarni de toison duquel sortait un mycélium toxique qui attendait de le happer. Il recula.
Ne pas sombrer dans le piège si soyeux!
Egmont, la plus souterraine, vermeille, prit la relève. Bien arc-boutée vers larrière, terreuse, humide, profonde, elle prenait racine dans lhumus et dévoilait son sillon. Son dos, ses reins, ses fesses et ses cuisses fortes se courbaient en attaches. Elle offrait son intimité à Senghor, ses lèvres ouvertes roses et par endroits violacées. Son mont de Vénus était dun noir de jais autrement touffu que celui dEgtul, les déesses de lécorce en offraient pour tous les goûts.
- Ah si seulement je pouvais brouter ce jais! éructa Senghor. Il nen pouvait plus de se contraindre, aurait voulu saisir par touffes entières les poils noirs qui recouvraient le mont dEgmont, lenfiler et que la salive de ce bracelet huile son arme!
Il avança sa main libérée sur une cuisse mais à peine eut-il posé un doigt quun collet le happa. Ah il ne fallait pas se fier à leau dormante, à la clairière offerte! Egmont la gracieuse, à peine effleurée, se transformait en Mélampyre à crêtes, ses racines se tissaient de suçoirs afin de lalimenter! Ah... Egmont, Egtul, Egdi... toutes trois étaient carnivores! Tout autour des bouches goulues, des collets tissaient des pièges. Quun ver, voire un sexe ou un doigt, excitât lune delles en pénétrant dans une des boucles, et le collet se gonflait aussitôt afin dimmobiliser sa proie! Elle navait pas le temps de trépasser que des filaments mycéliens lenvahissaient et absorbaient son contenu!
Senghor dégagea son index à grand peine.
Egdi, à la tête de Droséra, la plus érotique de toutes, continua le travail de sape entamé par ses surs. Elle approcha sa bouche de lépieu que Senghor garrottait maintenant des doigts de sa main gauche afin quune des sorcières navalât pas sa liqueur de vie, mais elle ne regardait pas ce banj, fixait seulement, de ses yeux dun vert profond, les prunelles ébène du potentat. Son regard pourtant léchait ses coucougnes, lui fouillait le trou puis, en mère incestueuse attentive, auscultait son pouls affolé.
- Que veux-tu de moi Senghor soupira Egdi.
Ses cils cherchaient à happer ceux du géant. Elle avançait sa bouche en arc-en-ciel, muqueuse rougeoyante, mais que Senghor posât ses lèvres dans cette urne et elles resteraient collées au contact des sécrétions de glandes pédicellées. Des sucs digestifs peaufineraient louvrage.
Quil était difficile de ne pas se laisser aller! De la première fièvre du désir à sa peste, il ny a pas loin. Il vous vient de la moelle dans les gencives, et après? La salive de laimée vous crache des grains dor dans la bouche, et après? Ses mots, ses sons, tordent vos formes, résonnent dans votre crâne qui nest plus quun idiome pierreux.
Senghor naurait jamais cru que le désir pouvait faire mal à ce point, être une si dévorante braise dégoulinant dans la gorge et le thorax.
"Il me faut vaincre, pensa-t-il, parce que je suis né pour cela! Si moi, tout puissant, je ny arrive pas, nul autre au monde ny arrivera!"
- Que veux-tu de moi? répéta Egdi, plus proche que jamais de lhomme.
Senghor sentit son souffle chaud sur ses lèvres. La pression du sang dans son sexe lélevait bien au-dessus de sa tête. Plus taurin que jamais, hippopotame, éléphantesque, grossière verrue géante sur la peau de la nature, son banj pesait des tonnes. Dans son village, comme chaque jour, les femmes pilaient sans doute le mil.
- Que veux-tu de moi? répéta Egdi, approchant ses lèvres capiteuses de la bouche tout aussi grasse de Senghor.
- Je veux te voir nue, souffla le Tout-Plantureux.
Egdi fit glisser sa robe.
Inénarrable spectacle! La perfection de la troisième déesse picotait douloureusement la peau du géant. Le parfait créait des rapaces qui dévoraient ses viscères.
Les hanches, conçues pour que lépieu sy plante mille fois, semblaient prêtes à enfanter fruit sur fruit du paradis.
Le Grand Lamido, luf dor, le La-ngag bsil-mo, sentait presque les fesses rondes et chaudes de la créature onduler sous sa peau. Ces fesses cuissaient dans son crâne, les poils de soie cheveluraient dans ses veines. Elle sortait du moule de Dieu ou de Satan, un Dieu à seins, un Satan à incroyables coings gonflés à lexacte mesure des paumes du Grand-Tout! Ces gros globes pleins sappendaient sous des épaules frêles et frissonnantes, frêlesonnantes, entre les blanches frises des bras que les biceps senghoriens sapprêtaient à saisir, à écraser, à enlacer encore et encore sans se lasser mais les liens se resserrèrent et le ficelèrent davantage, ah il ne pourrait pas couler sa main dans le pli de sa fesse!
Il se débattit et dégagea de nouveau ses phalanges. À chaque secousse, les nuds verts enfonçaient davantage leurs ligatures. Il se voulut vert démêleur, les ciseaux bien huilés, le couteau bien en main, mais ne tranchait presque rien. Senghor allait mourir, plus lourd que jamais.
Les trois déesses de lécorce ne faisaient plus quune, comme la réduction extrême des parfums quon nomme le jus, si intense quelle sent mauvais. Leau circulait entre les jambes dEgmont, la terre dégorgeait du ventre dEgtul et lair nourrissait le feuillu des joues mordorées dEgdi, le feu pouvait jaillir du seul frottement dun regard. Il nen pouvait plus de la moiteur chaude dEgmont aux cuisses pleines de suçoirs, aux doigts de pieds collets, de la puissance de truffe dEgtul sécrétée dans son jardin délicieusement désolé, du pic de vie dEgdi dont la ramure bousculée vibrait en spasmes sous les caresses du vent. Désir et violence, jouissance basculant dans des gouffres. Des serpents rampaient entre les racines dEgmont, des volatiles volaient dans la ramure dEgdi.
Impotent, cloué au tronc, mains et pieds muselés dans les étaux dépineux, le Grand Lamido faiblissait. Sa grosse chair noire plissait, débordant entre les feuilles et les lianes comme une volaille bardée déborde de ficelles trop tendues. Il rageait, prisonnier de lenroulement hélicoïdal des plantes volubiles, enchaîné entre Ciel et Terre.
Les trois déesses de lécorce raffinaient leur douce torture. Elles ne seraient pas seules à sécréter les filaments digestifs, mais Senghor lui-même y participerait. Elles le feraient baver comme elles-mêmes suintaient, elles lui feraient dégorger le totem!
Egtul se caressa, Egmont bascula ses hanches en lascives arabesques, le sourire dEgdi promenait une langue dans sa bouche.
Les feuilles de larbre se nouaient davantage autour de ses poignets, la liane sous son cou létranglait tandis que son linga gigantesque, sexe céleste, banj sacré, se proportionnait en quinze hippopotames. Essayant de se détacher, il mordit à tort et à travers. Elles, samusant, inventaient des figues près dun sein, dun visage, dune lèvre. Il mordait rageusement, happait les fruits saignants, les ouvrait des dents, les décapitait, offrant à voir leurs pépins, leurs mucosités, leur abondante moiteur pourpre qui lui coulait sous le menton. Ah, quel cuisant plaisir! Il passait dune figue à lautre, les entrouvrant, les perforant de la langue jusquà devenir fou tant le jus suintait. Comment sen sortir?
Les mille tonnes du banj senghorien, grimpant la colline du ciel en ahanante locomotive noire, tout stupre et douleur, enfonçaient le gros Nègre dans la terre. Sa bouche avide ne lapait plus que poussière.
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Sa face sécrasa sur Egdi qui gémit, la truffe dEgtul se crispa envoyant des jets qui décuplèrent son ardeur. Egmont, plaintive, voyait ses mollets puis ses cuisses sarracher de terre.
Les trois résistaient. Même abattues, elles voulaient entraîner le Nègre dans leur perte. Avec lénergie du désespoir, elles essayèrent une dernière fois de proposer leurs anneaux. Jamais ils navaient été si beaux, si rouges, si attirants. Oui Senghor irait! Il y alla! Il ne sut dans lequel il entra, par lequel il passa et duquel il sortit. Il était si fort quil ne craignait plus rien. Il fit de son banj ce quil fallait quand il fallait, aussi grand fut-il il pouvait redevenir petit, infime, la grandeur est aussi dans la petitesse! Quand lune des déesses lui proposa un trou de souris, son banj devint souriceau, dans le chas dune aiguille il se réduisit en fil, car la ruse du fort est de se faire petit devant le puissant, puce devant léléphant. Ce nest quà lextérieur du collet que le dard puissant reprit sa forme et défonça le plafond!
Senghor, fier de sa circonférence, offrait désormais un mauvais sourire lippu. Ces déesses de lécorce aimaient la flore, eh bien elles en auraient! Il leur mit sous le nez son banj devenu obélie, cette fleur qui pousse jusquà quatre mètres, puis il la fit séneçon, autre espèce qui culmine à dix, dont le calice sélargit tant quil cache toute la fleur!
Han han! Les trois anneaux ne firent plus quun quil défonçait, il perçait les bagues de chair, les enfilait à la queue leu leu car la tringle supporte plusieurs anneaux, il avançait et reculait, frottant bien le dos et le ventre du linga sur leurs berges, les écartelant tant quelles mouillaient et plus que ça, une véritable crue sortait du lit, était-ce plaisir ou pissait-elle toute leur sève? Leur énurésie essayait de noyer les coucougnes de Senghor mais en vain, elles saccrochaient en solides barques sous le grand mat qui défiait le ciel malgré les vagues et les embruns soufflés depuis ce lieu intime.
Le corps dacier devenu monstrueux, inoxydable acier, commença des ahans, rythme obsédant tout en piston. Elles ne pouvaient plus se dégager de Celui-qui-forniquait-comme-sil-voulait-tuer-le-je-sais-tout. Il incarnait le Violateur-des-secrets, Celui-quon-attend-à-lentrée-et-qui-surgit-aux-portes-dérobées, le Paysan-à-la-démarche-de-roi, Celui-qui-accueille-sans-cesse-les-supplications, le Coude-qui-ne-passe-pas-la-nuit-sans-vierge. Il était Goût-amer-et-piquant, Linterdit-qui-vagabonde, Le-corps-étranger-dans-loeil.
Plus Egdi battait joliment des cils, plus Le Lamido ramonait, Egmont salivait de la prune et du miel, mais Senghor lapait, il prenait sans crainte tout ce quon lui donnait, avalait ce quelles offraient sans rendre rien et ahan du bassin ahan, leurs anneaux éclataient, les raides petits boutons explosaient, le bourrelet du gland ébranlait le hêtre entier!
Senghor ne se dessaisissait plus de sa triple proie. Coupé de ses racines, le hêtre ne pouvait plus réagir, trop faible maintenant...
Linsecte pris se révélait un trop gros éléphant. Les lèvres éclatèrent, les suçoirs éclatèrent, les collets pétèrent!
Le hêtre à trois corps se sentit déporté loin, très loin, dans les monts Ruzwenzori, là où poussent ces obélies et séneçons géants qui les défonçaient et purgeaient leur sève à grands suçons. Toutes trois, prises par la corne du rhinocéros, du rhinoféroce qui les engloutissait sous son Tanganyika, partirent pour un voyage cosmique, sur un boulet enflammé qui transperça lespace et le temps quand le Tout-Il éclata sa spermatique marée.
Elles... presque mortes... se serraient les ramures des mains en vain.
Plus léger de sêtre dégorgé, Senghor se défit complètement des liens. Il se releva, fit quelques pas dans un imposant roulis de hanches. Même pas rhabillé, il sempara de sa hache de géant et frappa.
Han! han! ce bruit répondait aux précédents ahans. Le hêtre devint petit fagot.
Senghor respira fort. Cette étape lui aurait appris, sil en doutait, quil ne fallait jamais renoncer. Jamais! Oui, la limite de la bête est sa queue mais tant que la queue est vivante lanimal est vivant!
Senghor sassit enfin. Toute la nuit, il regarda le tas de bois brûler. Les déesses de lécorce dansaient dans les volutes. Au matin, quand le tas ne fut que cendres, Le Lamido aperçut les formes de leurs corps dans la cendre. Il souffla, et il ne resta plus rien, rien quun mont chauve désolé là où le fagot avait brûlé, et une forte odeur de truffe.
Cest ainsi que les vents narrèrent comment Senghor devint Celui-qui-jamais-ne-cherche-le-boeuf, luf dor, le La-ngag bsil-mo, comment Palmyre la Péripathétique recréa une cité de bitume où ses talons claquaient fort, où les femmes avaient le droit de se grimer et de forniquer, et comment Amégali put enfin vivre dans le désert et acquérir la sagesse.
Tandis que se terminaient les funérailles du génie du Lac Itang, tandis quEctaline préparait ses troupes à la guerre qui allait sensuivre pour cause de peau de chagrin de lespace et du temps, que ses femmes revêtaient déjà des cottes de mailles, les vents finirent de conter "Ce que furent les vies..." par celle de Septia, le versant blanc et scientifique de la folie des hommes.
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