À son réveil, l’arbre mort avait refleuri. Ressuscité, il verdoyait, dégageant un fort tourbillon odoriférant où un musc animal se mêlait aux senteurs végétales.
"Cet arbre est habité, et par une femme, je le sens" murmura Senghor. Ce parfum à la fois léger et capiteux est un cadeau, mais je n’y crois plus depuis longtemps. Si j’en désire un, je dépèce et je prends! Il faut toujours se méfier de la main qui offre car la seconde cache un couteau."
Des petits rires mutins jaillirent de l’écorce.
"Quel maléfice! Le ventre de cet arbre contient tout un gynécée!"
Senghor s’enduisit le bras droit de graisse, saisit une lourde hache, mais, avant qu’il n’ait le temps de l’abattre, les rires coururent le long des branches, les trilles devinrent des ramifications qui coururent jusqu’à lui et le ligotèrent.
Des voix sortaient des branches et du tronc, trois accents qu’il ne distinguait pas exactement; l’un pouvait provenir de Damas, l’autre de Tanriv et le troisième de Bogota. Il ne voyait rien, mais entendait. Ces sons orchestrés provoquaient un chaos.

- Tu n’iras pas plus loin... psalmodia une voix.
- Pas plus loin tu n’iras... ajouta une mineure.
- Plus iras au loin ne vas ... susurra une tierce, majeure, plus basse.

Des formules de politesse africaines coulaient dans leurs phrases mais si entremêlées que le sens disparaissait, il ne captait que des sons, purs, envoûtants, claquements de lèvres, roulements à bille de gorge, clapotis...
- Hansé ou y aoûr...
- M’ba ou arahaba...
- À toi la fatigue...
- Es-tu bien venu...
- À toi la fatigue...
- Les gens de la route se portent-ils bien...
- Tous les hôtes vont-ils bien...
- Tes parents vont-ils bien...

Les phrases jetaient de délicieuses bombes de salive à l’orgeat.
Il les vit enfin. Elles étaient trois, inscrites dans le même arbre, à des étages différents. Egmont, celle du bas, presque souterraine, agrippait ses racines loin dans le sol; Egtul, qui lui faisait face, émergeait des premières branchettes; Egdi, dans les hauteurs, dressait haut son faîte vers la lumière.

Toutes les trois tenaient des bouquets de fleurs, la première des Orabanchacae, grandes jacinthes dont la hampe, à floraison, se couvre de fleurs jaunes, la médiane des Iridaceae, glaïeuls du Natal jaune brun ou orangé, et Egdi, la supérieure des Gladiolus Watsonioïdes aux fleurs rouge vif, les plus belles de toutes.Elle souriait. Quel beau sourire! Tout souriait, sa bouche, ses dents, ses pommettes. Ses cils souriaient sur ses yeux en forme d’étoiles de feuilles de Droséra. La tête d’Egdi était celle d’une magnifique plante carnivore, ses cils n’étaient pas des cils mais de superbes tentacules fuchsia gluantes qui hérissaient ses dards autour d’un calice vert. Ces cils rétractiles attendaient l’insecte imprudent qui succomberait à l’éclat de la pupille, y plongerait son cou et glisserait sur l’huile de fausses larmes. Qu’il approchât et les tentacules se courberaient à toute vitesse, emprisonnant leur proie.
Senghor ferma les yeux pour se desserrer d’Egdi, étage supérieur de ce triple étau.
- Viens nous happer, viens...
Il tenta d’approcher, mais s’aperçut qu’il était ligoté. Les sons avaient fait pousser les ramures, leurs doigts finissaient en lianes, leurs ongles en épines et il se retrouvait arraisonné par ces barbelés végétaux.
- Viens nous happer, viens...
Les barbelés le tirèrent contre le tronc, la bouche déjà frottait contre l’humus d’un sexe et ses cheveux crépus cognaient contre deux seins doux, des dents il pourrait arracher la robe, des yeux pénétrer dans le ventre, mais il n’était pas dupe. Les trois déesses de l’écorce ne désiraient pas que sa langue les fouille pour le plaisir du Nègre ou le leur, mais afin qu’elle restât collée au ruban de glu empoisonné qui coulait d’elles!
L’arbre carnivore, plein de maléfices, était, nit ku ban, un mauvais génie, mais qu’il était difficile de résister!
Dangereuses par le haut, le milieu et le bas, les trois déesses de l’écorce étaient à la fois soudées et libres, Gamopétales et Dialypétales.
- Ce n’est rien, ce n’est rien... regarde-nous, apprends à nous connaître, nous allons nous présenter une à une soufflèrent-elles.
Elles le repoussèrent de leurs bras-lianes afin qu’il les vit mieux.
Egtul, la médiane contre laquelle il venait d’être flanqué, s’avança. Souple, si souple, elle le rapprocha une nouvelle fois et l’enlaça. Il n’était qu’un jouet! La rosée rendait transparente sa robe qui collait à sa peau. Dessous, pointait la fraise mure des seins.
- Mange-moi, mange-moi, mange-moi... soufflait Egtul, déchire des dents mon voile de tulle. Tu as tout le corps ligoté mais pas entièrement les mains et pas du tout la bouche, tends-toi, prends-moi.
La robe ne cachait rien, il voyait un filet de chair rose derrière l’ourlet brun.
Les grossiers maléfices des déesses de l’écorce ne le dupaient pas, pourtant, le désir le titillant, il alla de l’avant dans l’espoir que la doublure des épines serait de fourrure. Dans la passion, savoir que l’on court à sa perte n’interrompt pas son destin; on tend les lèvres vers la ciguë tant elle sent bon, on se moque, dans un instant fatal, de ce que sera demain. Les plantes se faisaient femmes pour Senghor comme elles se seraient faites brebis pour le loup, gazelle ou antilope pour le lion. Elles leurraient pour s’adapter, formes et couleurs s’acclimataient à la sensibilité de leur hôte forcé. Pour l’abeille, qui ne connaît pas le rouge, elles inventaient des corolles ultraviolettes dont l’insecte était friand, pour le colibri, elles créaient des pétales rouges, semblables à la tache de couleur située sur la gorge de leur femelle. Elles pouvaient sentir la rose où la matière fécale selon qu’elles cherchaient à attirer un oiseau floricole ou un charognard. Ainsi apparaissaient-elles en femmes, oh combien! face à Senghor.

Le Lamido réussit à dégager une de ses mains prisonnières, à moins que par ruse l’une d’elles l’aie laissé faire car d’un geste délicieusement malencontreux, il dégagea le tulle d’Egtul et crut devenir fou tant une odeur pubescente de truffe, dont le berceau était le sexe, se leva et embauma. L’arôme était si intense qu’il découpait une tonsure sur le pubis herbacé. La force de la truffe est si forte qu’elle tue l’entourage; ce sublime musc terrien était l’Attila de l’intime prairie d’Egtul. Il s’approcha, gourmet en manque prêt à déguster. Le vent de ses narines, en archet, caressait le mont presque dégarni de toison duquel sortait un mycélium toxique qui attendait de le happer. Il recula.
Ne pas sombrer dans le piège si soyeux!
Egmont, la plus souterraine, vermeille, prit la relève. Bien arc-boutée vers l’arrière, terreuse, humide, profonde, elle prenait racine dans l’humus et dévoilait son sillon. Son dos, ses reins, ses fesses et ses cuisses fortes se courbaient en attaches. Elle offrait son intimité à Senghor, ses lèvres ouvertes roses et par endroits violacées. Son mont de Vénus était d’un noir de jais autrement touffu que celui d’Egtul, les déesses de l’écorce en offraient pour tous les goûts.
- Ah si seulement je pouvais brouter ce jais! éructa Senghor. Il n’en pouvait plus de se contraindre, aurait voulu saisir par touffes entières les poils noirs qui recouvraient le mont d’Egmont, l’enfiler et que la salive de ce bracelet huile son arme!
Il avança sa main libérée sur une cuisse mais à peine eut-il posé un doigt qu’un collet le happa. Ah il ne fallait pas se fier à l’eau dormante, à la clairière offerte! Egmont la gracieuse, à peine effleurée, se transformait en Mélampyre à crêtes, ses racines se tissaient de suçoirs afin de l’alimenter! Ah... Egmont, Egtul, Egdi... toutes trois étaient carnivores! Tout autour des bouches goulues, des collets tissaient des pièges. Qu’un ver, voire un sexe ou un doigt, excitât l’une d’elles en pénétrant dans une des boucles, et le collet se gonflait aussitôt afin d’immobiliser sa proie! Elle n’avait pas le temps de trépasser que des filaments mycéliens l’envahissaient et absorbaient son contenu!
Senghor dégagea son index à grand peine.
Egdi, à la tête de Droséra, la plus érotique de toutes, continua le travail de sape entamé par ses sœurs. Elle approcha sa bouche de l’épieu que Senghor garrottait maintenant des doigts de sa main gauche afin qu’une des sorcières n’avalât pas sa liqueur de vie, mais elle ne regardait pas ce banj, fixait seulement, de ses yeux d’un vert profond, les prunelles ébène du potentat. Son regard pourtant léchait ses coucougnes, lui fouillait le trou puis, en mère incestueuse attentive, auscultait son pouls affolé.
- Que veux-tu de moi Senghor soupira Egdi.
Ses cils cherchaient à happer ceux du géant. Elle avançait sa bouche en arc-en-ciel, muqueuse rougeoyante, mais que Senghor posât ses lèvres dans cette urne et elles resteraient collées au contact des sécrétions de glandes pédicellées. Des sucs digestifs peaufineraient l’ouvrage.
Qu’il était difficile de ne pas se laisser aller! De la première fièvre du désir à sa peste, il n’y a pas loin. Il vous vient de la moelle dans les gencives, et après? La salive de l’aimée vous crache des grains d’or dans la bouche, et après? Ses mots, ses sons, tordent vos formes, résonnent dans votre crâne qui n’est plus qu’un idiome pierreux.

Senghor n’aurait jamais cru que le désir pouvait faire mal à ce point, être une si dévorante braise dégoulinant dans la gorge et le thorax.
"Il me faut vaincre, pensa-t-il, parce que je suis né pour cela! Si moi, tout puissant, je n’y arrive pas, nul autre au monde n’y arrivera!"
- Que veux-tu de moi? répéta Egdi, plus proche que jamais de l’homme.
Senghor sentit son souffle chaud sur ses lèvres. La pression du sang dans son sexe l’élevait bien au-dessus de sa tête. Plus taurin que jamais, hippopotame, éléphantesque, grossière verrue géante sur la peau de la nature, son banj pesait des tonnes. Dans son village, comme chaque jour, les femmes pilaient sans doute le mil.
- Que veux-tu de moi? répéta Egdi, approchant ses lèvres capiteuses de la bouche tout aussi grasse de Senghor.
- Je veux te voir nue, souffla le Tout-Plantureux.
Egdi fit glisser sa robe.
Inénarrable spectacle! La perfection de la troisième déesse picotait douloureusement la peau du géant. Le parfait créait des rapaces qui dévoraient ses viscères.
Les hanches, conçues pour que l’épieu s’y plante mille fois, semblaient prêtes à enfanter fruit sur fruit du paradis.
Le Grand Lamido, l’œuf d’or, le La-ngag bsil-mo, sentait presque les fesses rondes et chaudes de la créature onduler sous sa peau. Ces fesses cuissaient dans son crâne, les poils de soie cheveluraient dans ses veines. Elle sortait du moule de Dieu ou de Satan, un Dieu à seins, un Satan à incroyables coings gonflés à l’exacte mesure des paumes du Grand-Tout! Ces gros globes pleins s’appendaient sous des épaules frêles et frissonnantes, frêlesonnantes, entre les blanches frises des bras que les biceps senghoriens s’apprêtaient à saisir, à écraser, à enlacer encore et encore sans se lasser mais les liens se resserrèrent et le ficelèrent davantage, ah il ne pourrait pas couler sa main dans le pli de sa fesse!
Il se débattit et dégagea de nouveau ses phalanges. À chaque secousse, les nœuds verts enfonçaient davantage leurs ligatures. Il se voulut vert démêleur, les ciseaux bien huilés, le couteau bien en main, mais ne tranchait presque rien. Senghor allait mourir, plus lourd que jamais.
Les trois déesses de l’écorce ne faisaient plus qu’une, comme la réduction extrême des parfums qu’on nomme le jus, si intense qu’elle sent mauvais. L’eau circulait entre les jambes d’Egmont, la terre dégorgeait du ventre d’Egtul et l’air nourrissait le feuillu des joues mordorées d’Egdi, le feu pouvait jaillir du seul frottement d’un regard. Il n’en pouvait plus de la moiteur chaude d’Egmont aux cuisses pleines de suçoirs, aux doigts de pieds collets, de la puissance de truffe d’Egtul sécrétée dans son jardin délicieusement désolé, du pic de vie d’Egdi dont la ramure bousculée vibrait en spasmes sous les caresses du vent. Désir et violence, jouissance basculant dans des gouffres. Des serpents rampaient entre les racines d’Egmont, des volatiles volaient dans la ramure d’Egdi.
Impotent, cloué au tronc, mains et pieds muselés dans les étaux d’épineux, le Grand Lamido faiblissait. Sa grosse chair noire plissait, débordant entre les feuilles et les lianes comme une volaille bardée déborde de ficelles trop tendues. Il rageait, prisonnier de l’enroulement hélicoïdal des plantes volubiles, enchaîné entre Ciel et Terre.
Les trois déesses de l’écorce raffinaient leur douce torture. Elles ne seraient pas seules à sécréter les filaments digestifs, mais Senghor lui-même y participerait. Elles le feraient baver comme elles-mêmes suintaient, elles lui feraient dégorger le totem!
Egtul se caressa, Egmont bascula ses hanches en lascives arabesques, le sourire d’Egdi promenait une langue dans sa bouche.
Les feuilles de l’arbre se nouaient davantage autour de ses poignets, la liane sous son cou l’étranglait tandis que son linga gigantesque, sexe céleste, banj sacré, se proportionnait en quinze hippopotames. Essayant de se détacher, il mordit à tort et à travers. Elles, s’amusant, inventaient des figues près d’un sein, d’un visage, d’une lèvre. Il mordait rageusement, happait les fruits saignants, les ouvrait des dents, les décapitait, offrant à voir leurs pépins, leurs mucosités, leur abondante moiteur pourpre qui lui coulait sous le menton. Ah, quel cuisant plaisir! Il passait d’une figue à l’autre, les entrouvrant, les perforant de la langue jusqu’à devenir fou tant le jus suintait. Comment s’en sortir?
Les mille tonnes du banj senghorien, grimpant la colline du ciel en ahanante locomotive noire, tout stupre et douleur, enfonçaient le gros Nègre dans la terre. Sa bouche avide ne lapait plus que poussière.

Que faire? "La limite de la bête est sa queue" affirmait un proverbe africain. Il ne pouvait se débattre davantage, ne dit-on pas que le forgeron à beau frapper, il ne transformera pas le cuivre en or, de même qu’aucun éreintement ne pourra tirer l’eau de la pierre. Senghor rageait. Tous ces proverbes et lieux communs d’Afrique étaient pour les petits Nègres et non pour Le Grand Lamido! Au paroxysme de sa révolte, le proverbe revint le tanner et il le comprit autrement: la limite de la bête est sa queue mais tant que la queue est vivante, la bête est vivante!
Il fit un nouveau mouvement de hanches pour atteindre Egdi et la transpercer avant de trépasser... s’il n’atteignait pas Egdi ce serait Egtul, ou alors Egmont... Son banj grossit encore, son corps devint statue de bronze plein et pesa tant et tant que le hêtre, qui l’enchaînait par ses ramifications, se trouva entraîné par son poids, chuta et se déracina.
Sa face s’écrasa sur Egdi qui gémit, la truffe d’Egtul se crispa envoyant des jets qui décuplèrent son ardeur. Egmont, plaintive, voyait ses mollets puis ses cuisses s’arracher de terre.
Les trois résistaient. Même abattues, elles voulaient entraîner le Nègre dans leur perte. Avec l’énergie du désespoir, elles essayèrent une dernière fois de proposer leurs anneaux. Jamais ils n’avaient été si beaux, si rouges, si attirants. Oui Senghor irait! Il y alla! Il ne sut dans lequel il entra, par lequel il passa et duquel il sortit. Il était si fort qu’il ne craignait plus rien. Il fit de son banj ce qu’il fallait quand il fallait, aussi grand fut-il il pouvait redevenir petit, infime, la grandeur est aussi dans la petitesse! Quand l’une des déesses lui proposa un trou de souris, son banj devint souriceau, dans le chas d’une aiguille il se réduisit en fil, car la ruse du fort est de se faire petit devant le puissant, puce devant l’éléphant. Ce n’est qu’à l’extérieur du collet que le dard puissant reprit sa forme et défonça le plafond!
Senghor, fier de sa circonférence, offrait désormais un mauvais sourire lippu. Ces déesses de l’écorce aimaient la flore, eh bien elles en auraient! Il leur mit sous le nez son banj devenu obélie, cette fleur qui pousse jusqu’à quatre mètres, puis il la fit séneçon, autre espèce qui culmine à dix, dont le calice s’élargit tant qu’il cache toute la fleur!
Han han! Les trois anneaux ne firent plus qu’un qu’il défonçait, il perçait les bagues de chair, les enfilait à la queue leu leu car la tringle supporte plusieurs anneaux, il avançait et reculait, frottant bien le dos et le ventre du linga sur leurs berges, les écartelant tant qu’elles mouillaient et plus que ça, une véritable crue sortait du lit, était-ce plaisir ou pissait-elle toute leur sève? Leur énurésie essayait de noyer les coucougnes de Senghor mais en vain, elles s’accrochaient en solides barques sous le grand mat qui défiait le ciel malgré les vagues et les embruns soufflés depuis ce lieu intime.
Le corps d’acier devenu monstrueux, inoxydable acier, commença des ahans, rythme obsédant tout en piston. Elles ne pouvaient plus se dégager de Celui-qui-forniquait-comme-s’il-voulait-tuer-le-je-sais-tout. Il incarnait le Violateur-des-secrets, Celui-qu’on-attend-à-l’entrée-et-qui-surgit-aux-portes-dérobées, le Paysan-à-la-démarche-de-roi, Celui-qui-accueille-sans-cesse-les-supplications, le Coude-qui-ne-passe-pas-la-nuit-sans-vierge. Il était Goût-amer-et-piquant, L’interdit-qui-vagabonde, Le-corps-étranger-dans-l’oeil.
Plus Egdi battait joliment des cils, plus Le Lamido ramonait, Egmont salivait de la prune et du miel, mais Senghor lapait, il prenait sans crainte tout ce qu’on lui donnait, avalait ce qu’elles offraient sans rendre rien et ahan du bassin ahan, leurs anneaux éclataient, les raides petits boutons explosaient, le bourrelet du gland ébranlait le hêtre entier!
Senghor ne se dessaisissait plus de sa triple proie. Coupé de ses racines, le hêtre ne pouvait plus réagir, trop faible maintenant...
L’insecte pris se révélait un trop gros éléphant. Les lèvres éclatèrent, les suçoirs éclatèrent, les collets pétèrent!
Le hêtre à trois corps se sentit déporté loin, très loin, dans les monts Ruzwenzori, là où poussent ces obélies et séneçons géants qui les défonçaient et purgeaient leur sève à grands suçons. Toutes trois, prises par la corne du rhinocéros, du rhinoféroce qui les engloutissait sous son Tanganyika, partirent pour un voyage cosmique, sur un boulet enflammé qui transperça l’espace et le temps quand le Tout-Il éclata sa spermatique marée.
Elles... presque mortes... se serraient les ramures des mains en vain.
Plus léger de s’être dégorgé, Senghor se défit complètement des liens. Il se releva, fit quelques pas dans un imposant roulis de hanches. Même pas rhabillé, il s’empara de sa hache de géant et frappa.
Han! han! ce bruit répondait aux précédents ahans. Le hêtre devint petit fagot.
Senghor respira fort. Cette étape lui aurait appris, s’il en doutait, qu’il ne fallait jamais renoncer. Jamais! Oui, la limite de la bête est sa queue mais tant que la queue est vivante l’animal est vivant!
Senghor s’assit enfin. Toute la nuit, il regarda le tas de bois brûler. Les déesses de l’écorce dansaient dans les volutes. Au matin, quand le tas ne fut que cendres, Le Lamido aperçut les formes de leurs corps dans la cendre. Il souffla, et il ne resta plus rien, rien qu’un mont chauve désolé là où le fagot avait brûlé, et une forte odeur de truffe.

C’est ainsi que les vents narrèrent comment Senghor devint Celui-qui-jamais-ne-cherche-le-boeuf, l’œuf d’or, le La-ngag bsil-mo, comment Palmyre la Péripathétique recréa une cité de bitume où ses talons claquaient fort, où les femmes avaient le droit de se grimer et de forniquer, et comment Amégali put enfin vivre dans le désert et acquérir la sagesse.
Tandis que se terminaient les funérailles du génie du Lac Itang, tandis qu’Ectaline préparait ses troupes à la guerre qui allait s’ensuivre pour cause de peau de chagrin de l’espace et du temps, que ses femmes revêtaient déjà des cottes de mailles, les vents finirent de conter "Ce que furent les vies..." par celle de Septia, le versant blanc et scientifique de la folie des hommes.