vignettes de cette lettre: ex-libris de Mathieu Grenouilleau
Cher Lecteur,

Le premier pari d’un livre est d’arriver à son terme, le second de le vendre, le troisième de le faire aimer, de transformer le lecteur en ami, de ne pas trahir sa confiance.
Lire est un voyage. Comme dans tous les voyages, on a le choix entre laisser le Soi sur le quai et accepter l’autre et les nouveaux paysages, ou ne pas se quitter et ne voir partout que Soi.

Ainsi j'avais envie de faire partager mon coup de cœur pour les deux romans de Thierry Zalic, deux opposés. SLIP est solaire, et Poltron d’Amour lunaire. L’un veut incarner le Tout, et l’autre le Rien. Un héros est créatif à outrance, et l’autre essuie des verres. Un des deux vaut-il mieux que l’autre? Qui peut juger?

Ces deux livres, tout comme ma propre Marilyn (Moi, Je, Marilyn Monroe), sont écrits à partir des états mentaux des personnages. Le Mathias de “Poltron” refuse l’amour car il devrait le prendre à contrario, en homosexuel, et le Thierry de Slip n'est pas tout à fait l’auteur dans le sens de Rimbaud pour qui “Je est un autre”.
Il ne faut pas juger les personnages. Ils sont toujours exagérés, même quand l'auteur les fait ténus car là encore, ils sont un peu trop ténus. L'homme de Slip s’engage dans une double histoire de passion, pour une femme et pour la littérature. Il entre dans un acte jusqu’au-boutiste d’amour dans le même sens qu’il existe des actes criminels.
L'obsédé sexuel devient obsédé textuel, la mégalomanie laisse place à un effacement du sujet dans lequel passent tous les autres auteurs, Joyce, Barthes, Aragon, Céline, Arthaud, Miller, Dante, Queneau... le cynique vire à l’humaniste, la poésie à la psychose.

C'est mon amour de Slip qui m'a amené à être publié chez TZP. La typographie de ce roman” est sa peau, les états d’âme influencent le corps du texte écrit en deux langues, féminine et masculine, parfois sur deux colonnes. Il faut entièrement lire une colonne jusqu’à sa fin, sur plusieurs pages, puis retourner au début de la seconde pour lire celle-ci avec, en regard, le premier texte. Parler, est-ce cela? Parle-t-on avec quelqu’un, ou à côté?

Des bilans financiers, des articles de journaux ou des gros titres surajoutés indiquent un réel extérieur aux deux discours des personnages, une perspective, une troisième dimension. Si Poltron d’Amour est écrit dans une seule direction, le texte de Slip, rythmé au maximum au point que le héros ne peut entendre l’écho de ses actes, est toujours écrit en trois dimensions, moi, les autres, et la fusion du moi dans les autres.
Dans cette spatialisation, on atteint des “trous noirs” où, d’après les astrophysiciens, l’énergie est si intense qu’elle incurve l’espace et le temps. Ces trous noirs sont représentés par les mots trop gonflés de sens, ce cancer des mots du héros, cette sur-poésie qui finira par lui ravir la vie.

En écrivant Slip, l'auteur m'a avoué avoir eu une incroyable prétention, que tout lecteur puisse en lire même les parties les plus déstructurées quelque soit son éducation. Il se demandait constamment jusqu’où il pouvait l’amener sans qu’il décroche, au bout de quel vertige, dans quelle spirale.

Parmi les premiers voyageurs dans cette prose, il a constaté que ceux qui sont entrés sont devenus des fans, des groupies... des amis. D’autres n'ont pas pu y parvenir mais l'auteur est sûr qu'ils y arriveront un jour, s’ils le veulent, s’ils y reviennent. Il a cette certitude butée.

Lecteur, merci de ta confiance. Sache que TZP ne vend pas des romans mais qu’en les donnant à celui qui les achète, éditeur et lecteur se font chacun un cadeau.

Théo Delibes